27 Mai

Histoire du théâtre à Limoges (6): Expression 7

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Max Eyrolle (c) Expression 7

En 1977, Max Eyrolle crée Expression 7. Corrézien d’origine (il dit : « ce n’est pas la Corrèze qui m’a marqué, c’est la qualité de la vie de mon enfance »), alors professeur de lettres et d’histoire, c’est d’abord un poète remarqué pour son « lyrisme baroque ». Son recueil Soleils de contrebande paraît aux Editions de Saint-Germain-des-Prés : « la poésie – dit-il –, c’est un peu louche, c’est un soleil qu’on va chercher un peu en contrebande. » La sienne est portée lors de spectacles par des chanteurs, des comédiens, des musiciens – il obtient une distinction de l’Académie du disque Charles-Cros. En 1975, il a écrit – avec Alain Labarsouque – les chansons (Sud-Ouest parle de « goualantes ») des « Mystères de Paris » mis en scène au Centre théâtral du Limousin par Jean-Pierre Laruy, d’après Eugène Sue : « Les mystères de Paris/C’est la valse du viol,/C’est la valse du crime/L’histoire au vitriol ». Parmi les comédiens de la troupe : Andrée Eyrolle et Michel Bruzat, futur créateur du théâtre de La Passerelle. Max Eyrolle écrit ensuite, pour les Tréteaux de la terre et du vent (où joue sa sœur), le texte d’une veillée-spectacle sur les problèmes de la vie en Limousin au milieu des années 70 : Mandragore. Spectacle beaucoup vu dans les campagnes et à Limoges à l’occasion de la « Quinzaine occitane » en 1976 – à l’époque où les associations et les militants occitans étaient très actifs. En 76 toujours, Max Eyrolle écrit certaines des chansons de « Mistero Buffo » de Dario Fo, pour les Tréteaux – elles sont interprétées par Jan dau Melhau. Il confie avoir écrit 400 ou 500 chansons – et a même reçu un prix à Cognac. Les journalistes locaux le qualifient encore de « poète corrézien ». Toujours pour la troupe itinérante, il arrange « Village à vendre » de Jean-Claude Scant, conseillé par Pierre Maclouf, pour « limousiner » le texte en y ajoutant même certaines scènes. En 1977, L’Echappée Belle accueille durant trois semaines « J’Elle », (paru aux Editions de l’Athanor, qu’il signe sur place), interprété avec talent par sa sœur Andrée, dans une mise en scène de Daniel Gillet : poésie, atmosphère envoûtante, musique et sons répétés de Jacques Viteau. Le spectacle est repris deux ans plus tard avec Andrée Eyrolle et Patrick Michaelis (et Dominique Bassset-Chercot aux lumières). Centre-France n’hésite pas à écrire alors que « la silhouette somptueuse et mélancolique de Max plane un peu sur toute la vie culturelle du Limousin» et Le Populaire du Centre publie son portrait par Yannick Combet, (éternelle) cigarette dans une main, candélabre dans l’autre. Ce statut de poète lui pèse et le conduit progressivement à ne plus publier. En août 1976, il annonce la philosophie qui inspira la création d’Expression 7 : « nous nous intéressons particulièrement aux nouvelles orientations que prend l’expression artistique en général (notamment aux Etats-Unis) dans les domaines aussi variés que la danse, la musique, le théâtre. Cet intérêt se traduit, pour l’instant, par une recherche théorique qui, je pense, pourra déboucher au cours de l’année sur une réalisation théâtrale… ». A l’origine du projet, avec Max : Daniel Gillet, Dominique Basset-Chercot et Philippe Brezinscki. En voyant Gillet travailler la mise en scène (jusqu’en 1982), Eyrolle a quelques années plus tard le désir de le faire également (avec Laser Light en 1979). Durant plus de trente-cinq ans, Expression 7, qui s’installe au 20 rue de la Réforme en 1981 après un an de travaux (les locaux appartiennent à la famille Ab), explore avec constance et cohérence deux voies créatives : l’une autour de l’écriture de Max Eyrolle, auteur d’environ 25 pièces – dont Les nouvelles d’Inadieu ou La mélancolie des fous de Bassan ; l’autre en adaptant les grands textes du répertoire classique et contemporain, avec notamment tendresse et passion pour les auteurs russes et Steinbeck. Les mises en scène s’appuient sur un espace travaillé en collaboration avec des plasticiens (associés à la création des décors et des costumes ; exposés ; créant parfois sur scène, comme la peintre Frédérique Lemarchand), sur la continuité du mouvement des comédiens, avec une attention particulière à la danse contemporaine – Eyrolle étant d’ailleurs l’un des initiateurs de Danse Emoi en 1987 et accueillant régulièrement des chorégraphies (on se souvient de « L’Enfer » de Daniel Dobbels, autour de Matisse et du désir). La recherche d’une émotion est aussi une base du travail. Durant de nombreuses années, des ateliers théâtraux sont animés à Expression 7 par Andrée Eyrolle (1984-1990, avec des stages d’été sur l’Île de Vassivière) puis Denis Lepage et Gérard Pailler (1990-1993), enfin Jean-Paul Daniel et Gérard Pailler. Des interventions ont également lieu à destination des scolaires et des personnes handicapées. Parfois, les comédiens partent sur les routes, les parvis ou au pied des châteaux médiévaux (comme à Châlucet où je les invitai), inspirés par Dario Fo pour leurs « Jongleurs de juillet. Max Eyrolle, qui s’est toujours souvenu avoir été accueilli par Charles Caunant à L’Echappée Belle, a lui-même ouvert son théâtre à de nombreux artistes et compagnies ainsi qu’à divers festivals, dont Danse Emoi ou les Francophonies. Il a également accordé une place importante à la poésie, avec, par exemple: une performance de Michèle Métail (OULIPO) en 1985 ; « Poésie en liberté » (choix de textes contemporains avec la Limousine) ; « Romans courts » de Jean Mazeaufroid ; la venue d’Alain Borer pour évoquer Arthur Rimbaud ; « Eloge de la pleine lune » : chaque soir de pleine lune, un poète contemporain venant, en 1987, lire ses textes : Bernard Delvaille, Lionel Ray, Jean-Luc Parant, Charles Juliet, Michel Deguy, Bernard Noël et Julien Blaine ; des lectures de poètes d’Amérique Latine ; en 2008, le collectif Wild Shores y a proposé La Calobra. Il faut aussi se souvenir de la venue de Lionel Rocheman pour un spectacle où s’exprimait à merveille l’humour juif. La musique a également trouvé sa place sur la scène d’Expression 7 avec divers concerts, en particulier de jazz, mais aussi de musique contemporaine et même occitane, par exemple avec Payrat et Combi. Des rencontres et débats divers y ont été organisés, de Pasolini aux rythmes scolaires. Des films projetés. Des photographies et des toiles exposées. Tout ceci fait d’Expression 7 un lieu culturel à la fois essentiel, vivant et très plaisant de la ville de Limoges. Lorsque je demande à Max Eyrolle quel regard il jette sur son parcours, il me répond : « Mélancolique ! […] Cette notion du temps qui passe est très présente, plus peut-être que dans d’autres lieux. Quelquefois, je me retrouve tout seul, la nuit dans le théâtre et je me demande même si une seule pièce a existé ! » Les souvenirs de nombre de comédiens passés par son beau théâtre-écrin flottent doucement dans l’air, celui, aussi, d’un bal vénitien donné en 1985 pour fêter le carnaval, avec des comédiens, les danseurs Dominique Petit et Anne Carrié ou les rockeurs de Quartier Louche.

08 Mai

Mai 68, et moi et moi émois…

« Le vrai rêveur est celui qui rêve de l’impossible »

Elsa Triolet, Mille regrets.

 

J’avais six ans et j’étais beau, blond aux cheveux presque blancs, yeux bleus, clairs, et j’étais maigre, aux côtes saillantes – enfant qui ne voulait pas beaucoup manger, qui stockait la viande dans sa bouche, avant de la recracher en cachette dans la poubelle. C’était à Limoges, dans le quartier de la cathédrale sans flèche, dans un appartement où j’habitais avec maman, qui ne travaillait pas pour s’occuper de moi, et papa, qui conduisait des machines à vapeur et peut-être déjà à diesel. Chaque matin, au moment d’aller à l’école du boulevard Saint-Maurice, mon ventre se tordait étrangement, je vomissais presque immanquablement devant une boucherie peinte en rouge à l’angle d’une rue ouvrant vers la place Jourdan. La bouchère (ou la charcutière ?) m’apportait alors sur le trottoir un verre d’eau, peut-être sucrée, pour faire passer le goût âcre et me redonner du courage ; puis, je repartais vers l’école, tenant la main de maman, un manteau sur ma blouse à carreaux, une casquette anglaise sur mes cheveux courts, en pantalon ou en culotte courte.

A la maison, un midi, mon grand-père Marcel, qui n’avait plus son magasin de vin place des Bancs, était venu manger, sans mamie Rose, et il avait coupé en deux l’assiette en porcelaine à carreaux bleus et blancs en même temps que son beefsteak.

A la radio, on entendait souvent une chanson des Moody Blues qui parlait, je crois, de draps blancs en satin. Je ne me souviens pas de Salut les copains ! sur Europe 1. Je n’avais pas entendu le nom de Saïgon, ni de Martin Luther King, je ne savais rien du Sinaï. Mais déjà, pendant l’hiver, il était question de grèves de cheminots. Est-ce que je savais ce qu’étaient les cheminots, que mon père en était un ? Il prenait ses affaires, m’embrassait, me disait : « Je vais faire un petit tour de persil », il sortait, et puis il ne revenait que le soir ou le lendemain, sentant le savon de la douche du dépôt. Moi, je lisais le Journal de Nounours grand format, que maman m’avait acheté à la maison de la presse le samedi en fin de matinée. 1,50 francs, tout en couleurs, les histoires de Philippine, de Nounours, de Nicolas et Pimprenelle, les coloriages, l’abécédaire, les jeux, les aventures de Poudre de riz et celles de Couic le caneton… en attendant Pif gadget un peu plus tard. Dans la rue, nous étions plusieurs à crier, sur les trottoirs en rentrant de l’école : « Pompidou, des sous ! » sans savoir qui était Pompidou. Mon père m’apprenait à siffler devant la bibliothèque, chez nous, peut-être même qu’il me parla de la fusée Véronique que l’on venait de lancer depuis la base spatiale de Kourou.

Lorsque j’étais sage, nous descendions le mercredi soir chez nos voisins, Madame et Monsieur Lereclus, qui avaient un poste de télévision, pour regarder La Piste aux étoiles, de Gilles Margaritis, sur la première chaîne de l’O.R.T.F. : Roger Lanzac était un Monsieur Loyal qui me faisait rêver, avec son chapeau haut-de-forme, comme tous les artistes réunis au Cirque d’hiver de Paris, comme la musique de l’orchestre de Bernard Hilda. Parfois aussi, j’allais voir le clown Kiri et sa petite troupe de cirque : Laura l’écuyère, Ratibus le chat, Pip’lett la perruche et Bianca la jument. Le lendemain, c’était jeudi, il n’y avait pas école ! Monsieur Lereclus, un ancien facteur, m’amenait parfois avec lui au grenier, soulevait des couvertures, faisant apparaître ses canaris dans leur cage, qui se mettaient à piailler. Sa femme était grosse ; je l’aimais beaucoup.

La radio chantait de plus belle, et les vinyles tournaient sur l’électrophone gris. Je mimais des play-back en tenant un manche à balai. Mes parents m’achetèrent un harmonica jaune. Je me souviens de : « Elle m’a dit d’aller siffler sur la colline… » par Joe Dassin, « Comme un garçon j’ai les cheveux longs » par Sylvie Vartan, de la flûte de « Paris s’éveille » et aussi de l’ « Alouette alouette » de Gilles Dreu, un grand type moustachu, et de « la cavalerie » par julien Clerc. Et puis il y avait ces chansons que j’aimais vraiment beaucoup, mais dans une langue que je ne comprenais pas : « Hello Goodbye » chanté par quatre jeunes hommes un peu étranges, habillés en longues tuniques roses, bleues ou jaunes, et « Rain and tears » par les Aphrodite’s Childs. Et puis un jour, ma fiancée, Patricia, qui avait douze ans, m’offrit mon premier 33 tours, celui de Johnny Halliday, et je devins un rocker du Cours Préparatoire. Patricia avait de longs cheveux, s’habillait en robe blanche et me jouait du piano chez elle – j’en étais éperdument amoureux.

« Kili watch

Kili watch

Kili watch

Kili kili kili kili watch watch watch watch

Keom ken ken aba

Depuis deux jours je ne fais que répéter

Ce petit air qui commence à m’énerver

Oui! Kili kili kili kili watch watch watch watch

Keom ken ken aba

C’est contagieux car au lieu de dire bonjour

Mes voisins en me croisant chantent à leur tour

Kili!

Kili watch! »

 

L’hiver, nous étions allés chez nos cousins à Strasbourg où les gens parlaient une drôle de langue. Noël dans la neige, dans les illuminations, sur la luge de bois. J’étais effrayé d’entendre le nom de cette spécialité : les poussins à la Wantzenau. Le soir, lorsque nos parents nous laissaient à la baby sitter pour aller dîner en ville, je les imaginait dévorant les pauvres petits volatiles, sans doute aussi jaunes et mignons que les canaris de Monsieur Lereclus. Je triais tous les ingrédients du riz cantonais dans mon assiette pour en manger le moins possible, ce qui énervait la femme de mon parrain. Bruno, mon cousin, était vietnamien ; je ne savais pas pourquoi mais, visiblement, il ne ressemblait pas à ses parents, avec sa peau brune et ses yeux bridés. Ils ont tous eu la varicelle, mais pas moi.

Il y a une photo où je fais des crêpes dans une petite poêle, dans la cuisine, avec maman et son amie Andrée, ma marraine, pour la chandeleur. Je suis tiré à quatre épingles, comme toujours.

J’étais dans une école que j’allais bientôt quitter mais je ne le savais pas. J’apprenais à lire, à écrire, à compter, avec un instituteur barbu en blouse. Nous étions entre garçons. J’en ai peu de souvenirs ; seulement, je crois, celui du maître prévenant mes camarades que j’allais subir une intervention chirurgicale : une hernie, ou quelque chose d’approchant. Je ne me souviens que de la salle d’opération, de la grande lampe au-dessus de moi, tout petit, et de l’horrible masque pour m’endormir. Je me souviens de papa venant m’offrir Le Pied-Tendre, une aventure de Lucky Luke auparavant parue dans Spirou. Et puis de ma convalescence à La Gaillardie, chez un colonel, le père de Patricia et de sa sœur Liliane, et son épouse allemande – qui essayait, en vain, de me faire manger en tenant mon couteau à droite. La propriété était une pisciculture en pleine campagne limousine. Est-ce cette année-là que nous sommes descendus, une nuit, par une échelle accolée au balcon, avons pris la barque et sommes allés jusqu’au milieu du grand étang ? Les truites venaient manger les morceaux de pain jusque dans mes mains.

En mai, je sentis mes parents plus fébriles. Il faisait beau. Une certaine agitation était perceptible, un frémissement de l’air, peut-être. Des paroles étranges entendues à la radio. Par exemple que Pépée, la femelle chimpanzé de Léo Ferré, était morte. Ou bien qu’il y avait des barricades à Paris. Mais je ne savais pas qui était Léo Ferré, ni ce qu’était une barricade. La ville semblait en vacances. Mon père rentrait plus souvent – je finis par comprendre qu’il ne travaillait plus. Il faisait des « piquets de grève » ; ça, je comprenais ce que cela voulait dire : là où il travaillait, près des voies de chemin de fer, il enfonçait des poteaux de bois dans le sol. A quoi cela pouvait-il bien servir ? Avec ses copains, il avait accroché un grand drapeau rouge après le paratonnerre de la gare des Bénédictins. C’était joli. Il y avait beaucoup de monde dans les rues. Les trains étaient arrêtés. Nous allions préparer nos vacances à Bidart, avec un ami de la même promotion que mon père, qui vivait à la campagne. Ce que je savais, c’est qu’ils avaient commencé à travailler à 14 ans. Michel avait une femme, Marie-Thérèse, que nous appelions Tété, et trois enfants : Marc, Christian, et surtout Claire, alors adolescente qui s’occupait de moi. Leur belle maison était au-dessous des voies de la ligne Limoges-Ussel, mais il n’y passait plus de trains. On parlait de partir en vacances mais on disait aussi qu’il n’y aurait plus d’essence pour mettre dans les réservoirs des voitures ; nous, nous passions de la deux-chevaux à l’Ami 6. Moi, j’apprenais à faire du vélo et yves Montant chantait « A bicyclette ». C’était un temps de bonheur inquiet.

Je ne comprenais rien aux conversations et aux mots entendus, je crois : « … Accords de Grenelle, C.G.T., C.R.S., Baden-Baden, gouvernement populaire, Charles de Gaulle, Chienlit, Champs-Elysées, Sorbonne, Odéon, baccalauréat, bombe à hydrogène… »

Nous sommes partis en vacances à Bidart, il y avait de l’essence pour les réservoirs. Mon père me raconta que c’était un ancien port de chasseurs de baleine. La seule dont je me souvienne, c’est celle échappée d’un parapluie qui me fit mal à l’œil. Les vagues étaient immenses, je les observais les pieds dans l’océan, le corps malingre et bronzé. Elles me faisaient perdre mon maillot de bain. Dans le lointain, les surfeurs se souvenaient du film Le Soleil se lève aussi. Je m’inquiétais que l’on veuille me faire déguster du saucisson d’âne. J’entendais vaguement parler de militaires de l’autre côté de la montagne, en Espagne. Mes parents parlaient de leurs amis républicains exilés. Les macareux moines et les pingouins torda semblaient bien étrangers à l’effervescence du monde. Des hommes vêtus de blanc, une chistera attachée à la main, envoyaient des pelotes rebondir sur les rontons des villages. Nous mangeâmes du ttoro : rougets grondins, queue de lotte, congre et langoustines, moules de bouchot, légumes, vin blanc sec et huile d’olive. Plus tard, viendraient les cures à La Bourboule, pour soigner mes rhinopharyngites, mes pauvres maladies d’enfant fragile. Je commençais à écrire des poèmes dans des cahiers à grands carreaux. Face à la garde civile, mon père prenait des airs de contrebandier.

Il fallut rentrer, déménager, changer d’école.

Mon père et tous les autres reprirent le travail. Mais le drapeau rouge est demeuré fiché quelque part dans leurs cœurs. Sheila chantait : « Long sera l’hiver ». C’était prémonitoire : il dure encore. Ma tête est en flocons.

 

Extrait de Le Roi de La Vallée, Editions Gros Textes, 2011.

Théâtre à Limoges (5): L’échappée belle

En 1973, Charles Caunant, limougeaud d’origine, revient vers sa ville natale ; il est comédien, producteur à F.R.3 et il a la volonté de créer un café-théâtre inspiré du Café de la gare de Romain Bouteille. Il trouve une suite de caves médiévales 11 rue du Temple et convainc le propriétaire, Bernard de Fombelle, d’accueillir son projet. D’octobre 1975 à février 1977, 35 personnes donnent bénévolement de leur temps pour assainir, assécher, aménager le lieu. Toutes les économies de Caunant sont dépensées dans l’entreprise soit 50 000F de l’époque pour un théâtre de cent places. Le 9 février 1977, L’Echappée Belle est inaugurée, régie par une association dont le président d’honneur est Serge Moati, le réalisateur du Pain noir (dans lequel Caunant joue) et le vice président Serge Solon, directeur des programmes F.R.3 Bordeaux. Parmi les responsables et parrains : Jacques Rabetaud, professeur et comédien, Jean-Charles Prolongeau, artiste et céramiste, alors animateur de foyers socio-éducatifs, Georgette Bretenoux, Jean Dalbru, Georges Chatain, journaliste, Pierre Juglass, libraire. La salle propose des spectacles, du théâtre, des concerts (variétés, jazz), des expositions. S’y produisent Romain Bouteille, Marianne Sergent, Patrick Font et Philippe Val, Jean Pierre Sentier, Christian Pereira, les chanteurs Michel Sohier, Charles Elie Couture, Jacques-Emile Deschamps, Marie France Descouard, Françoise Rabetaud et Dominique Desmons, et bien d’autres. Charles Caunant écrit ‘’Mourir Bronzé’’, ‘’La caissière est mélomane’’, ‘’Le Festival du bref ’’. Patrick Jude, plasticien et professeur aux Arts Deco crée les affiches des spectacles. Un vent de liberté et de fraternité souffle dans la cave où se retrouvent artistes de renommée nationale et créateurs locaux comme Max Eyrolle et sa sœur Andrée. Jusqu’au docteur Henri Pouret, figure de la bourgeoisie limougeaude, qui viendra donner un jour une conférence sur l’art. L’Echappée Belle devient l’endroit underground fréquentés par les lycéens, les enseignants, les créateurs et spectateurs de tout poil attirés par l’esprit des lieux, éclairé à l’étincelle des poètes pour reprendre l’image de Pierre Desvaux fondateur de ‘’La Compagnie Chpeuneuneu’’.  L’entreprise portée par la passion des bénévoles cessa faute de soutiens financiers qu’elle n’a d’ailleurs jamais voulu demander. Charles Caunant avait ouvert une voie inédite à Limoges. Il vit désormais à Sète et reste en contact avec quelques amis fidèles comme Marc Wilmart qui fut un soutien personnel et médiatique important dans l’aventure de l’Echappée Belle dont la naissance fut annoncée à la fin de l’année 1973 dans un court métrage qu’ils cosignèrent. Il fut diffusé sur ce qui devint F.R.3 après l’éclatement de l’O.R.T.F. en 1975. Le film de 12 minutes avait pour titre : On ferme pour cause de réouverture.  Ce survol de la vie culturelle de la capitale régionale commençait par un poème sur Limoges en voix off de Charles Caunant sur des images d’entrée du Capitole en gare des Bénédictins :

Limoges ma ville

            Avec sa gare toujours bien limogesque

            Ses trolley-bus bien limogineux

            Ses maisons limogestes

            Ses bars si joliment limogeouillés

            Ses librairies bien limogeardes

            Ses cinémas limogiques

            Son théâtre bien limogéum

            Ses limougeauds tranquillement limoginés.

            Mes amis, là-dessus tout limogifs

            De me revoir si limogieux

            Et cette absente là-dessous

            Si complètement limogingue

            Que Limoges à la fin c’est à faire

            Limogir d’envie les images de l’autre Epinal,

            Qu’à Limoges après tout c’est

            Tellement

            Tellement

            Tellement limogiaque

            De revenir chez soi.

           

01 Avr

Marie-Noëlle Agniau au théâtre de La Passerelle le vendredi 6 avril

 

(c) L. Bourdelas

Vendredi 6 avril à 20 heures précises, L’Arbre à Trucs et le Bottom théâtre (Tulle) proposent une soirée consacrée à l’écrivain et poète Marie-Noëlle Agniau au théâtre de La Passerelle de Michel Bruzat à Limoges.

Née en 1973, Marie-Noëlle Agniau fait partie des voix contemporaines de la poésie française, dont l’œuvre est régulièrement saluée par la critique (France Culture, etc.). Elle publie régulièrement en revue et recueil, chez des éditeurs français et belges. En 2004, elle commence chez l’éditeur Yves Perrine, la « petite œuvre », vaste poème ininterrompu. Elle a participé à de nombreuses lectures publiques et festivals poétiques.

En première partie de soirée, l’auteur lit des extraits de Mortels habitants de la terre, recueil paru chez L’Arbre à paroles (Belgique) dans la collection « If ». Vertigineuse réflexion sur notre monde technologique, c’est aussi et surtout un bouleversant récit, où la pensée chemine main dans la main avec le cœur. Où la poésie, comme chez Nietzsche, est déjà pure philosophie. Pur avenir. Beauté.

En deuxième partie, le Bottom théâtre (Corrèze) propose une mise en espace de Boxes, autre texte de Marie-Noëlle Agniau paru chez Gros Textes, par Fabrice Henry, comédien et metteur en scène, avec l’actrice Romane Ponty-Bésanger. Ce spectacle avait été proposé à Aubazine dans le cadre de la manifestation « Ouvrez les guillemets ». Boxes est un récit poétique fort, plein d’émotions, qui fait passer du rire aux larmes, à hauteur de petite fille puis d’adolescente, qui fait « l’apprentissage de la rature » : de la vie et de l’écriture.

Représentation unique. 13 et 10 euros. Réservations vivement conseillées au 05 55 79 26 49.

23 Mar

Limoges, une ville de théâtre (4): les centres culturels municipaux

Henri-Louis Lacouchie et sa petite-fille Aurélie

(c) Alain Lacouchie

 

La Ville de Limoges propose elle-même, à partir de 1970, une programmation culturelle et des ateliers, avec ses centres culturels et sociaux : le principal étant avenue Jean Gagnant, les autres étant le Centre Jean-Macé et le Centre Jean-Le Bail ; c’est Henri-Louis Lacouchie qui en est le premier directeur, jusqu’en 1980. C’était un peintre, ancien instituteur détaché la Fédération des Œuvres Laïques, metteur-en-scène d’au moins 40 pièces, marqué par les spectacles vus à Paris avec les plus grands comédiens et par ses rencontres avec Jean Vilar au T.N.P. de Chaillot – et avec Jean-Paul Sartre, Jean-Louis Barrault, Roger Planchon, Laurent Terzieff, parmi d’autres – ou par la découverte du travail d’Ariane Mnouchkine à La Cartoucherie. Il n’est donc pas anodin que le sénateur-maire de Limoges ait sollicité cette personnalité, jusqu’à ce qu’il acceptât. Néanmoins, l’inauguration, à Jean Gagnant, tourna au cauchemar, comme il me l’a confié : « le jour de la réception des travaux, en présence des responsables de toutes les activités présentes sur le Centre, une voix s’élève : « Et la salle de spectacles ? » Effectivement, dans une telle maison, c’est le lieu central, le cœur des activités et cette visite était donc capitale. Le groupe des officiels se dirige donc vers la grande salle : au premier regard, elle est magnifique, impressionnante. C’est alors que le préfet Lambert (qui devait mesurer plus d’1m.80) a l’idée (saugrenue ?) de s’asseoir … Cette manœuvre lui étant impossible, car ses genoux ne rentrent pas entre les deux rangées de fauteuils, il pousse un cri d’indignation ! Scandale ! Le maire, l’architecte et quelques autres « personnalités » se précipitent et ne peuvent que constater le drame. Il y aura procès, bien sûr ; et travaux ! Deux ans de travaux afin de tout démolir et de tout reconstruire (avec une trentaine de places en moins), les gradins étant en ciment. Mais l’épilogue de cette histoire a été dramatique pour moi : comment, en effet, faire fonctionner un tel établissement sans cette salle, comment attirer du public dans ce lieu si   nouveau et encore inconnu des Limougeauds ? La difficulté était majeure. »[1] « Lors de l’ouverture du Centre Jean-Gagnant, le personnel était très réduit : un concierge, une secrétaire et moi, le directeur (…) Mais il fallait impérieusement, un animateur, un véritable animateur : après de nombreuses démarches, et grâce à l’aide efficace du secrétaire général (Monsieur Tourong), j’ai enfin obtenu la personne qu’il me fallait : Jacques Benaud. Avec lui, j’ai pu construire de vrais programmes – même si je me dois de préciser que, dès le départ, nos moyens étaient réduits au point que j’étais même obligé de réaliser les affiches et les prospectus, au sous-sol, en sérigraphie … avec l’aide du concierge ! » Progressivement, les activités se sont mises en place, sous la houlette d’Henri-Louis Lacouchie, qui raconte que les ateliers étaient le cœur du centre : « cinéma amateur, photo, modelage, émaux, tissage, gymnastique volontaire (gros succès !), karaté, langues étrangères (Allemand, italien, arabe, etc.) ». Un ciné-club fut créé, « nous avons pu entrer en possession d’un projecteur professionnel. Le programme était choisi, bien sûr, parmi les chefs d’œuvre du cinéma mondial. Avec, aussi, après le film, des discussions avec l’animateur. » Des expositions, dont certaines sont restées dans les mémoires limougeaudes, ont très vite été proposées au public : « le C.C.S.M. est un lieu de culture pour tous, d’éducation populaire. Il n’est pas un sanctuaire pour une élite « avertie ». Il doit absorber tous les domaines susceptibles d’informer ou divertir l’ensemble de la population. Les sujets des expositions ont donc  été très variés : la peinture, la sculpture, les arts en général pont été la matière principale. Mais aussi des formes intéressantes de l’habileté et l’ingéniosité de quelques passionnés. Nous avons donc présenté, aussi, par exemple, des expositions sur les poissons ou sur … les trains. Mais les expositions les plus marquantes étaient des expos photos et, bien entendu, des expos de peinture : des expos personnelles d’artistes connus dont beaucoup d’artistes parisiens classiques ou d’avant-garde, expos qui permettaient de présenter au public un panorama aussi complet que possible. Et, en fin d’année, comme des graines prêtes à germer, étaient exposées les productions de la PAP, envahissant les deux salles de leurs œuvres originales et colorées, au grand plaisir des enfants… et à l’émerveillement des parents. » Après les deux ans de travaux pour réhabilitation de la salle, les activités s’y sont succédées très rapidement. « Le public a tout de suite été au rendez-vous. Il est vrai que les spectacles étaient très attrayants : musique classique avec des orchestre et des solistes (par exemple l’orchestre symphonique de Toulouse avec, en fond de scène, une immense tapisserie de Lurçat, une pièce qui faisait partie d’une exposition au Centre, en parallèle) ; Jacques Higelin ou Marianne Sergent… » Lacouchie a également créé une première troupe théâtrale : « par chance, j’ai eu le plaisir de constater le ralliement d’acteurs professionnels souvent issus de la radio. Par exemple, Jean Pellotier professeur d’art dramatique au Conservatoire de Limoges. Mais j’ai pensé qu’il me fallait conserver cette idée d’éducation populaire. Parallèlement à cette troupe, donc, j’ai créé deux autres groupes : Les Patarêves (pour un perfectionnement des acteurs amateurs) et Le Petit Chien (pour l’initiation). La gestion de ces trois troupes (qui s’ajoutait au travail ordinaire d’un directeur de centres culturels) demandait un énorme investissement. Je faisais, en effet, toute la mise en scène, les décors (conception et réalisation !), les costumes (conception) et, bien sûr j’assurais la direction des répétitions. Mais c’est un travail qui a payé. Nous avons présenté à Limoges et dans sa région quelques chefs d’œuvres qui ont marqué (Gogol, Molière, Brecht, Obaldia, Audiberti, Anouilh et combien d’autres !).» Des conférences assurées par une centaine de reporters-aventuriers qui sont venus personnellement présenter autant de pays constituent le Festival « image et voyage ». Henri-Louis Lacouchie crée aussi, inspiré par le travail de son épouse institutrice et par celui d’Arno Sters, la Petite Académie de Peinture destinée aux enfants, dans des locaux désaffectés de l’Ecole du Boulevard Saint-Maurice :  « il y avait là des salles où on pouvait faire tomber de la peinture par terre, avec des murs recouverts de contreplaqué sur lesquels étaient accrochés des grandes feuilles de papier de toutes les couleurs. A la disposition des enfants, des couleurs à l’eau, des pinceaux, des éponges et … un tablier à toute épreuve pour chaque enfant. Pas de thème imposé, bien sûr. En général, ils produisent des souvenirs et  des vues de la vie courante. L’ensemble produit était d’une variété surprenante : chaque enfant révélait ainsi sa propre personnalité  grâce à ce moment de liberté créatrice. Au rythme d’une séance d’une heure trente par semaine, un nombre impressionnant d’enfants a pu ainsi s’exprimer (aidés, s’ils le demandaient, par des moniteurs – souvent des étudiants de l’école des Beaux-Arts ; aidés, pas dirigés). Les réunions mensuelles avec les parents ont montré la portée de cette initiative. Je n’ai qu’un regret, c’est que l’expérience si originale, populaire efficace ait été abandonnée. » Jean Gagnant accueillit dès le début des spectacles de jazz, d’abord en liaison avec Jean-Marie Masse et le Hot-Club, par exemple le Festi-Jazz. Tous les grands noms de ce style musical sont passés par le centre – comme Lionel Hampton, par exemple. « Une anecdote typique : pour une soirée, nous avions programmé Claude Bolling, alors au sommet de son art. Masse m’avait malicieusement glissé dans l’oreille que, ce jour-là, Claude Bolling aurait 41 ans. J’ai donc fait confectionner un magnifique piano en nougatine et, à la surprise générale, à l’entracte, je suis monté sur scène avec ma nougatine et je la lui ai offerte. Emotion générale : le secret avait été bien gardé ! Bolling, fou de joie et dans un moment d’euphorie a décidé d’assurer seul, au piano, toute la deuxième partie : quelle séance inoubliable ! » Henri-Louis Lacouchie conclue : « en fin d’année, c’était la fête des ateliers. Le Centre était alors transformé avec leurs productions. C’était la fête des adhérents, des enfants et de tous les parents. Il y avait une atmosphère indescriptible de kermesse. C’était un jour heureux. C’est ainsi qu’en quelques années seulement, avec imagination et travail, nous avons construit un centre culturel extrêmement complet répondant à un besoin de culture riche et simple à la portée de tous. L’abondance des adhérents et des visiteurs atteste de la réussite du projet du maire de Limoges. Le nombre de retraités assidus aux réunions atteste, lui aussi, de ce succès. Chaque semaine, plusieurs centaines d’aînés se retrouvaient au C.C.S.M. »

Le premier directeur a passé la main à Hubert Bonnefond sous la conduite duquel, pendant vingt-huit ans, les centres se développèrent et prirent leur rythme de croisière. En 2008, c’est son directeur-adjoint, Michel Caessteker, qui lui succède. Deux centres se sont ajoutés aux premiers : Jean Moulin, dans le quartier de Beaubreuil, et John Lennon – plus spécifiquement dédié au rock, au blues, au reggae. Aujourd’hui, les centres culturels municipaux accueillent près de 70 000 spectateurs chaque saison et organisent plus de 14  000 heures de cours chaque année. Une attention particulière est portée au jeune public avec des spectacles et animations adaptées. Leur programmation demeure d’une excellente qualité. Une des manifestations les plus importantes organisée par le Centre culturel Jean Gagnant est désormais le festival Danse-Emoi, biennale de danse contemporaine réputée, qui propose au public de découvrir le travail de créateurs reconnus sur la scène internationale et de jeunes chorégraphes tout en soutenant des créations originales. Le centre accueille également, tout au long de l’année, des expositions d’art plutôt contemporain.

[1]

Témoignage de décembre 2013. Les citations entre guillemets en sont toutes issues.

 

11 Mar

Théâtre à Limoges (3): Laruy et le Centre théâtral du Limousin

À partir de 1964, Jean-Pierre Laruy (pseudonyme de Jean-Pierre Lévy, 1941-1987), ancien étudiant en khâgne à Henri IV et en philosophie à La Sorbonne et élève de la rue Blanche est, avec Georges-Henri Régnier, le codirecteur du Théâtre du Limousin. Après plusieurs années de présence régulière en Limousin, l’équipe constituée autour des directeurs est devenue, à l’initiative du ministère de la Culture, une troupe nationale permanente. Georges-Henri Régnier, codirecteur, ayant été appelé à la direction du théâtre de Bourges (1972), Jean-Pierre Laruy est demeuré seul pour assurer, à Limoges, la direction du Centre Théâtral du Limousin devenu Centre dramatique national du Limousin, qu’il dirige jusqu’en 1983. Entre 1961 et 1983, Jean-Pierre Laruy met en scène quelque 80 spectacles, dans lesquels il peut aussi jouer (et même faire office de traducteur ou composer la musique, avec aussi Yves Desautard ou Pierre-Jean Leymarie) : Beckett, Claudel, Molière, Pirandello, Sartre, Marivaux, Sophocle, Tennessee Williams, Musset, Ionesco, Vitrac, Giraudoux, Balzac, Strindberg, Hugo, etc. La pièce La Mouche verte, qu’il a écrite avec Daniel Depland, a été éditée en 1981 par L’Avant-Scène théâtre. Les spectacles sont joués parfois au théâtre municipal de Limoges, au Centre culturel municipal Jean Gagnant et dans divers lieux du département (comme le parc Charles Sylvestre, à Bellac, qui accueille Pétronille tu sens la menthe, chansons de la période 1900-1930). La comédienne Andrée Eyrolle se souvient aussi : «On allait dans les villages, mais on ne se contentait pas de jouer, on restait huit jours au même endroit, on organisait des parades avec des tracteurs, on écoutait les gens, on inventait avec eux.» Laruy se produit encore au théâtre de la Visitation, rue François Chénieux à Limoges. La Visitation est une ancienne chapelle construite au XVIIIème siècle par Joseph Brousseau. Le couvent est devenu, à la Révolution, tribunal puis prison insalubre. Il abrite aussi durant les premières décennies du XIXème siècle la bibliothèque municipale, une école d’enseignement mutuel, et la pépinière départementale. L’armée s’y installe ensuite, ce qui n’empêche pas l’accueil de spectacles dans la chapelle. En dehors de ses propres mises en scène, Laruy invite d’autres artistes, comme Jean Alambre, auteur et chanteur, qui met en scène, en 1976 Le massacre des Primevères. Néanmoins, le nombre d’abonnés fléchit.

            Au début 1975, l’Etablissement Public Régional vote un crédit de 400 000 francs destiné à l’achat d’un matériel mobile permettant des actions d’animation culturelle itinérantes et régionales (460 places) ; ce sera la mission des Tréteaux de la terre et du vent, associés au Centre Dramatique du Limousin, dirigés par Hassan Geretly – d’origine égyptienne, diplômé des Universités de Bristol et de La Sorbonne, il est rentré en Egypte en 1982, où il a été assistant de Youssef Chahine, puis a fondé la compagnie théâtrale El Warsha – avec Daniel Hanivel pour secrétaire général. Pendant une semaine, les Tréteaux s’installent dans une ville limousine d’où rayonnent de multiples activités : parades, marionnettes, ateliers théâtre, spectacles. La troupe joue par exemple « Mistero Buffo » de Dario Fo ou « Village à vendre » de Jean-Claude Scant. Le public suit, en nombre, parfois enthousiaste, parfois dérouté : ainsi, du 26 janvier au 20 mars 1976, 15 000 habitants limousins assistent aux animations. Le Populaire du Centre se félicite : « A l’heure de la faillite, des économies galopantes, la bonne vieille faculté de résistance d’une région qui n’a encore point trop perdu de ses valeurs et de sa vérité, est sans doute un espoir. Il faudra qu’on le comprenne en haut-lieu. » Parmi les journalistes d’alors : Paul-Henri Barillier, devenu par la suite l’un des actifs animateurs de la vie culturelle limougeaude. L’aventure participe du mouvement d’alors « Vivre et travailler au pays », sans doute symbolisé par le combat des paysans du Larzac. Malheureusement, le Secrétariat à la culture n’aide pas l’entreprise qui se dissout et renaît plusieurs fois, obligeant à un perpétuel et difficile travail de remobilisation.

 Des troupes nouvelles apparaissent : le Théâtre de l’Evènement, créé par des militants cégétistes, le Théâtre de l’Ecale (né dans les milieux du P.S.U. et de la C.F.D.T.) et le Théâtre de la Fête (une équipe d’agit-prop qui réagit sur l’évènement).

04 Mar

Une exposition du peintre limougeaud Pierre Jarraud au Canada

La Galerie d’art Urbania, 112, rue Saint-Paul, Québec, accueille des oeuvres de Pierre Jarraud à la mi mars 2018.

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Pierre Jarraud

Parler d’un peintre, parler d’un ami.

 

Pearl Buck a écrit quelque chose de très juste : « peindre est un état d’âme et non pas une réalité, c’est introduire l’idéal dans l’art. »[1] Il me semble que cela correspond à la manière dont peignait Pierre, qui – d’abord passionné par Pissarro et Dali – avait commencé ses premières peintures à l’huile à treize ans. De la 6ème à la 1ère, il suivit deux heures de cours du soir pour apprendre à dessiner et à peindre. Né à Limoges en 1941, il étudia au Lycée Gay-Lussac, comme d’autres qui allaient devenir artistes ou écrivains (Georges-Emmanuel Clancier, pour ne citer que lui, y était déjà passé), puis poursuivit ses études pendant trois ans à l’École Nationale d’Arts Décoratifs de la ville avant de rejoindre l’École Nationale des Beaux-Arts de Saint-Etienne.

Nous nous sommes rencontrés en 1983, alors qu’il exposait à la galerie Contraste de Claude Bensadoun à Limoges : j’ai aimé à la fois sa peinture et l’homme, dont je suis devenu l’ami jusqu’à sa précoce disparition, en ce triste mois de janvier 1997. Signe du destin : il était familier de l’Oise, dont ma famille maternelle était originaire et même du petit village où j’avais passé nombre de mes vacances d’enfant. Il exposait ainsi régulièrement à Compiègne et reçut le Prix de la ville de Pierrefonds, dont il peignit à la Turner le château restauré par Viollet-le-Duc – la bâtisse où, à dix ans, je me rêvais chevalier. Par la suite, j’eus le plaisir de rencontrer Lucette, son épouse, puis sa fille Charlotte – que l’on retrouve en regardant ses tableaux (Les cheveux courts et leur tendre gravité, l’érotisme discret de La dormeuse).

Depuis les débuts, la peinture de Pierre Jarraud est multiple. Limousin, attaché à la campagne du nord de la Haute-Vienne, il sait appréhender le mystère des rivières, comme la Brame, leurs reflets, le sombre des bois, les silhouettes des chênes, les taillis, la blancheur discrète et modeste des façades de fermes, des toits rouges, des clôtures, la puissance des vaches limousines, les ombres bleues des prairies et des lisières ou le jaune profond des fonds de prés, l’étang calme au crépuscule, le feu d’artifice des iris, des hortensias ou du mimosa – entremêlements subtils de légèreté, de lumière et de couleurs, dont les parfums capiteux semblent exhaler de la toile, ô Baudelaire. Mais amoureux aussi de l’Atlantique, du Croisic à La Tremblade, il sait saisir le mouvement des vagues, les accords du ciel et de l’eau, des nuages et des mâts, des maisons de pêcheurs et des chalutiers, dans un impressionnisme renouvelé à l’aune du contemporain. Huile et toile mouillées aux embruns. Le poète déjà l’écrivait : « … La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme (…) Tu te plais à plonger au sein de ton image… »[2] Lorsque Jarraud peint La mouette, se fondant ailes écartées dans le paysage de rochers et d’eau, il peint aussi l’albatros, c’est-à-dire le poète et l’artiste.

Pierre Jarraud, c’est aussi – surtout ? – le peintre de la poupée, la poupée sous toutes ses formes mais avec des aspects féminins très marqués, dans des mises en scène savamment étudiées, qui transforment l’objet en créature ambigüe et font du tableau une œuvre souvent érotique, dans un jeu permanent entre l’inanimé et le vivant, dont l’humour n’est pas exclu. Pierre avait d’abord photographié les poupées, souvent parce qu’il les trouvait pathétiques, abimées, cassées, solitaires, avant de décider de les prendre pour modèles. « J’ai donc peint cette poupée – me disait-il – dans toutes les postures… Sans arrière-pensée. Sans besoin d’aller plus loin, au début. Mais il y avait une attirance inexplicable. » Les historiens, les psychanalystes, ont étudié la poupée et le rapport qu’entretiennent les hommes avec elle, à travers les âges et les cultures, pour souligner combien elle déborde de significations et d’usages variés, en perpétuel renouvellement – ludique, rituel, esthétique, magique. Jarraud a su se les approprier, les croiser, renouant avec la plus haute Antiquité car, chez les Grecs, la korè était à la fois la poupée et la jeune fille, et chez les Romains, la pupilla était aussi la prunelle, le miroir de l’œil. Plonger son regard dans les yeux ronds des poupées du peintre, dans le maquillage charbonneux de ses midinettes, c’est se regarder et se chercher soi-même. C’est savoir, aussi, que toute Amazone possède sa « contrepartie avec ombre », tout comme nous. Complexité de l’humain, de la vie, du désir et de l’amour.

Celui qui me confiait avoir « toujours aimé Dali, Chagall, Magritte et les surréalistes en général », fit évoluer sa peinture et une métamorphose s’opéra insensiblement, transformant les poupées en petites filles ou même en femmes. L’œuvre s’ouvrit à d’autres influences et sur d’autres thèmes, historiques, fantaisistes, fantastiques – un chat se substituant à la tête d’un buste (Lumière d’en haut), un autre observant une poupée volant comme un petit oiseau (Effet de manche), des jeunes filles ou des fées en ombrelles se balançant au rebord d’une oreille. Le rêve, l’imagination et la maîtrise du peintre, celle de la couleur et du dessin triomphaient, les tableaux se faisaient encore moins statiques, épousaient une modernité sans toutefois oublier la poésie. La Méditerranée, l’histoire, faisaient leur apparition. Avec La timide florentine, Jarraud rendait hommage à la fois à ses prédécesseurs de la Renaissance, à Modigliani, se souvenait de Catherine de Médicis et s’ouvrait au présent brûlant comme un regard bleu qui foudroie.

J’aimais visiter Pierre Jarraud dans son atelier de Condat-sur-Vienne, près de Limoges, échanger avec lui, à propos de la peinture, bien entendu, mais aussi de la poésie, de la photographie – qu’il pouvait utiliser comme point de départ à l’une ou l’autre de ses créations – de la musique et de la chanson. J’aimais cet artiste et son univers multiple, référencé, en perpétuelle évolution, dont l’œuvre faisait l’objet d’expositions en France et à l’étranger. J’aimais découvrir la toile en cours sur le chevalet, écouter glisser les poils du pinceau, regarder le jeu des couleurs sur la palette, humer le parfum des tubes.

J’aimais notre amitié. Ses tableaux toujours m’accompagnent et jamais son souvenir ne s’efface.

 

 

Laurent Bourdelas

Le 7 février 2018

 

 

[1] Impératrice de Chine, LGF, 1992.

[2] C. Baudelaire, « L’homme et la mer », Les Fleurs du Mal.