230 pages avec une histoire muette ou quasi-muette, c’est un beau challenge. Il faut dire que Grégory Panaccione a de ce côté-là un peu d’entrainement. Son allbum précédent, Toby mon ami, une histoire de chien fou, était tout aussi muet. Mais attention, muet ne veut pas dire bâclé et donc à lire par dessus l’épaule un jour de pluie au milieu du mois de novembre en préprant un riz au lait pour les cousins de passage. Non, un récit de Panaccione se savoure et se lit calmement, comme le conseille l’auteur lui-même dans une note introductive. Donc, on respire, on s’allonge dans le meilleur canapé du coin et on ouvre l’album pour y découvrir une créature un peu étrange, un peu humaine mais pas complètement, qui s’éveille un beau jour, nu, au milieu de rien et découvre autour de lui un monde étrange, un monde où il fait froid, où il pleut souvent, où les dangers peuvent surgir de partout à tout instant et où les amis sont plutôt rares.
Sorti fin août mais bien évidemment encore disponible dans les meilleurs librairies du monde, Âme perdue est un récit à la fois profondément noir et drôle, une espèce de quête d’identité en même temps qu’une découverte de la vie avec un personnage dont on finira par comprendre qui il est et d’où il sort. Et toujours ce dessin vif et expressif réalisé sans crayonné préliminaire !
Eric Guillaud
Âme perdue, de Grégory Panaccione. Editions Delcourt. 19,99 euros
Astérix chez les Pictes par Jean-Yves Ferri & Didier Conrad – Editions Albert René
Astérix chez les Pictes signe-t-il le retour d’une potion goûteuse ou une fois de trop un album vraiment plus ragoutant ?
La question se pose tant il a été difficile d’assister à la lente agonie des dix derniers albums de la collection. Depuis 1980, Albert Uderzo a œuvré en solitaire après la mort de son formidable comparse, le scénariste René Goscinny. En plus du dessin, Uderzo s’est mis à écrire, a dilué les ingrédients qui ont fait le succès de la série, puis a sombré avec Le Ciel leur est tombé sur la tête, une mixture au goût de navet, du même tonneau que la pochade des Gendarmes et les Extra-Terrestres. Albert avait livré là son combat des chefs de trop et de lui nous préférons retenir le meilleur album sur le plan graphique Astérix et Cléopâtre et le plus drôle malgré les années, le premier Astérix le Gaulois.
Evidemment, l’a priori est ici favorable quand on sait que Jean-Yves Ferri est entré en cuisine, lui, qui associé au talentueux Manu Larcenet, a signé un grand Retour à la Terre, sans oublier le chef d’œuvre d’humour de la 5ème République De Gaulle à la Plage. De nombreux pièges attendaient Ferri (4 pièges identiques déjà identifiés dans des séries tout autant codifiées comme Lucky Luke ou Blake et Mortiner). Son parti pris de reprendre un à un tous les éléments de la potion originale rassurera le lecteur le plus sourcilleux. Dès la première case nous retrouvons le village avec tous ses personnages, tels que nous les avons toujours connus; arrive ensuite un voyage à l’étranger, dans la grande tradition d’Astérix chez les Bretons, chez les Helvètes, chez les Belges … ; un couple d’amoureux à réunir Mac Oloch & Camomilla (Astérix Légionnaire Tragicomix & Falbala) ; et bien sûr tout ce qui fait le sel et l’humour de la série la plus vendue et la plus traduite : les jeux de mots ( Mac Abbeh, Mac Robiotik …), le comique de répétition («Non, je ne suis pas gros »), les caricatures (cette fois ci, jouez à retrouver Johnny Halliday et Vincent Cassel) et les anachronismes (les pictogrammes). En fait, il ne manque qu’une maxime latine et le pirate Triple-patte qui les prononce en guise de consolation quand le bateau coule. Nous pouvons suggérer aux latinophiles : A cane non magno sæpe tenetur aper.
Astérix chez les Pictes par Jean-Yves Ferri & Didier Conrad – Editions Albert René
Tout est là donc et bien là comme dans une impression de déjà vu, impression amplifiée par les dessins réalisés à la perfection par Didier Conrad (Les Innommables), un véritable moine copiste surveillé par Uderzo lui-même.
Au final, le succès annoncé de cet album en terme de vente depuis plusieurs semaines, aura bien lieu. Le lecteur de tout âge y trouvera son compte de sesterces dans cette nouvelle potion comme à l’ancienne. Mais il faudra attendre encore quelques albums pour que ce nouveau tandem d’auteurs épice ses recettes gauloises et montre que c’est aussi pour leur talent inventif qu’ils ont été choisis. Comme dirait l’autre : Cave Carmen, soit en dans un latin de cuisine Craignez de succomber au Charme … de cette potion !
Né avec le nouveau millénaire, le festival international de science fiction de Nantes s’intéressera pour sa quatorzième édition aux autres mondes avec cette question : quels sont ces autres mondes possibles, quelles sont ces réalités en émergence ?
Que vous soyez passionnés de Littérature, de sciences, de cinéma, d’arts plastiques ou de bande dessinée… c’est l’endroit où vous devriez trouver toutes les réponses à vos interrogations et à vos attentes d’imaginaires.
Des conférences, des débats, des expos, des films, un workshop, 200 invités… Les Utopiales sont le plus grand rendez-vous du genre en Europe.
Côté BD, séances de dédicaces, tables rondes et rencontres rythmeront les 6 jours du festival avec notamment, parmi les invités, Arleston, Denis Bajram, David Chauvel, Régis Hautière, Rémi Gourrierec, Frédérik Peeters, Luc Schuiten, Philippe Squarzoni, Fabien Vehlmann, Bastien Vivès, Yoann…
Un prix du meilleur album de science fiction sera décerné à cette occasion.
Les albums en compétition sont : Au pays des ombres de Jean-Marc Mathis et Thierry Martin, Les fantômes – Rork d’Andréas, Joe l’aventure intérieure de Grant Morrison et Sean Murphy, Sailor Twain ou la sirène dans l’Hudson de Mark Siegel, Souvenirs de l’empire de l’atome de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse, Le décalage – Julius Corentin Acquefacques T6 de M-A Mathieu, L’entrevue de Manuele Fior.
350 millions d’albums vendus à travers le monde dans 107 langues et dialectes différents, aucun doute, Astérix est un personnage légendaire du Neuvième art. Et ses albums ont depuis longtemps intégré les meilleurs bibliothèques de France comme la BNF. Mieux, ce temple de la culture parisien a hérité en mars 2011 des planches originales de trois albums d’Astérix : Astérix le Gaulois, le premier titre de la série, La Serpe d’or, le deuxième titre et Astérix chez les Belges, le 24e album publié après le décès de René Goscinny.
Ces planches originales figurent bien évidemment au coeur de l’exposition présentée par la BNF. Une exposition qui se décline en trois parties : la jeunesse et les débuts d’Uderzo et Goscinny dans le monde de la bande dessinée, la naissance d’Astérix puis le phénomène Astérix, vu notamment à travers son expansion nationale et internationale, ses adaptations cinématographiques…
Raconter l’immigration autrement ! C’est la noble ambition que se sont donnés les organisateurs de cette exposition intitulée « Albums » et présentée du 16 octobre au 27 avril au Musée de l’histoire de l’immigration dans le 12e arrondissement de Paris.
Plus de 200 pièces, documents originaux, planches de BD, esquisses, croquis préparatoires, photographies, documents d’archives, permettront d’envisager le phénomène dans la bande dessinée depuis la conception des planches jusqu’à leur réception par le lecteur.
L’exposition comportera trois parties. Une première se penchera sur la trajectoire de certains auteurs comme René Goscinny, Albert Uderzo, Enki Bilal, Farid boudjellal… Une deuxième partie explorera les genres utilisés pour évoquer cette question de l’immigration. Enfin, une troisième partie se concentrera sur la représentation du migrant dans les bandes dessinées.
Jack Palmer est de retour et ça va faire mal ! Pour sa quinzième aventure, le détective catastrophe de René Pétillon s’offre la Bretagne et les Bretons sous un déluge d’algues vertes, de maladresses et d’humour. Résultat des courses, 20000 exemplaires écoulés en deux semaines entre Saint-Malo et Nantes.
Tout ça valait bien une tournée générale de dédicaces. Il suffisait de demander ! René Pétillon sera le 11 octobre à Rennes (librairie Le Failler), le 16 octobre à Brest (Librairie Dialogues), le 17 octobre à Quimper (librairie Ravy), le 19 octobre à Pont-Aven (pension Gloanec) et Lorient (Fnac), le 23 octobre à Vannes (librairie Cheminant), le 25 octobre à Ploemeur (librairie Sillage) et enfin le 26 octobre à Nantes (librairie Coiffard).
Le FIBD a dévoilé l’affiche de l’édition 2014, une affiche signée Willem élu Grand prix de la ville d’Angoulême en janvier 2013 et donc président de la 41e édition qui se déroulera du 30 janvier au 2 février. Si vous ne connaissez pas – ou mal – Willem, direction le site du festival et plus particulièrement ce portrait.
Hasard des calendriers, les éditions Futuropolis et Casteman publient à quelques jours d’intervalle deux ouvrages ayant pour thème les vétérans de la guerre d’Irak. Un thème identique mais un traitement sensiblement différent puisque le premier, « Uriel Samuel Andrew », est une fiction, le second, « Revenants », un documentaire.
Welcome home ! Uriel, Samuel et Andrew sont enfin de retour au pays et ils sont visiblement attendus. Tout le village s’est mobilisé pour les accueillir en véritables héros eux et 36 autres soldats qui en ont définitivement fini avec l’Irak. Définitivement ? Pas vraiment. Après le temps des retrouvailles, des embrassades et des cris de joie vient celui pas si simple du retour à la vie normale et pour certains de la descente aux enfers. Comme pour nombre de vétérans, le quotidien d’Uriel, Samuel et Andrew est hanté par la guerre. Tous les trois ont des hallucinations le jour, font des chauchemars la nuit, pètent les plombs pour un rien, sombrent dans l’alcool ou la drogue… Et pourquoi se plaindraient-ils ? Tant de copains n’ont pas eu la chance de revenir vivants ou entiers !
Ce récit de près de 200 pages en noir et blanc est tellement senti et juste qu’on le croirait écrit par un vétéran, tout au moins par un Américain. Rien de tout cela, Will Argunas est un auteur bien français, certes empreint de culture nord-américaine. Il décrit le difficile retour à la vie civile des vétérans d’Irak et le trouble de stress post-traumatique qui affecte 20 % d’entre-eux. Au passage, l’éditeur nous rappelle que 18 vétérans d’Irak et d’Afghanistan se suicident chaque jour, ce qui dépasse de loin le nombre de morts sur le terrain. Effrayant !
Olivier Morel, lui, est citoyen américain. Ce Français d’origine s’est installé aux Etats Unis en 2005 et a obtenu sa naturalisation trois ans plus tard. Il est aujourd’hui réalisateur de films documentaires et auteur de séries radiophoniques. Il a notamment réalisé « L’Âme en sang », un documentaire sur les traumatismes laissés par la guerre en Irak sur les soldats. C’est le tournage de celui-ci et notamment la rencontre entre le réalisateur et les différents acteurs, pardon les différents vétérans, que nous raconte Revenants. Conçu comme un complément au documentaire, l’album s’arrête sur les mondes intérieurs des vétérans, ceux qui ne peuvent se voir dans l’objectif d’une caméra.
C’est Maël, (Les Rêves de Milton, Notre Mère la guerre...) qui s’est chargé de la mise en image. Son trait réaliste, sobre, ses planches au lavis, souvent en noir et blanc, parfois monochromes, nous plongent littéralement dans ce récit du réel, à des années lumière du rêve américain. Au delà de cette rencontre avec les vétérans, Revenants nous parle d’une société malade « qui se paie elle-même la fausse monnaie de son rêve ».
Eric Guillaud
Revenants, de Maël et Olivier Morel. Editions Futuropolis. 19 euros
Uriel Samuel Andrew, de Will Argunas. Editions Casterman. 16 euros
Après la foison de la rentrée, voici la meilleure occasion de rencontrer un ou cent cinquante auteurs parmi vos préférés. Pendant tout ce week-end (28 et 29 septembre 2013) le 9ème Festiblogs de la BD et des webcomics vous permet de découvrir qui se cache derrière les URL de leurs bulles internet.
Devant la mairie du 3e arrondissement, le programme des deux jours est dense, avec la possibilité d’obtenir une dédicace gratuite. Comprenez « sans obligation d’achat », une exception qui remonte aux origines du festival quand la plupart des auteurs de cette génération 2.0 n’avait pas encore publié. Vous pourrez donc croiser des grands noms de la toile (Boulet, Bastien Vivès, Pénélope Bagieu, Fabien Vehlmann …) et tous ceux que vous pourriez avoir envie de découvrir, comme Benoît Feroumont qui propose une MasterClass dimanche.
Expatriées par Sandrine Aragon, Béatrice Cante, Isabelle Charpentier, Sandrine Halpin & Nathalie Mercier - Mon Petit Editeur
Elles sont cinq, ont en commun d’être femmes, françaises vivant à Londres et surtout d’aimer écrire. Elles se sont choisies, comme double d’auto-fiction littéraire, les prénoms de Sofia, Véronique, Hélène, Adèle et Juliette. Ne cherchez pas d’illustrations dans ce recueil de nouvelles ; il n’y pas de dessins, juste des mots ou plutôt des images nées de leur écriture, autant de bulles de souvenirs échappées de leurs voyages « intranquilles » autour du globe. Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un livre dont il est question sur ce blog consacré au 9e art : Expatriées publié chez Mon Petit Editeur.
L’intention, comme le murmure Sofia (Isabelle Charpentier) : « Ce serait un merveilleux souvenir, une oeuvre utile à toutes les femmes voyageuses, intranquilles, roseaux ballottés par les vents, mais toujours aussi fortes et résistantes au gré des expatriations. »
Sa prose suit les contours et le velours de la poésie du pays que son mari a choisi. L’Empire du Milieu, la Chine avec tous les fantasmes et les désirs qu’elle suscite. Au fil des mots de ce premier récit qui amorce l’ouvrage, sa vie solitaire dans l’une des mégalopoles les plus peuplées au monde se fait jour. La solitude est en effet l’autre point cardinal de toutes ces femmes au déracinement voulu ou subi.
Cette solitude est souvent liée à la perte d’un statut social, celui que leur donnait jusqu’à leur départ de France leur métier, qu’elles ont du abandonner en quittant l’hexagone pour suivre leur conjoint dans son nouveau poste. Un constat qui s’impose brutalement à Véronique (Sandrine Aragon), docteur en Lettres Modernes, lorsque sa banque résume ainsi sa situation : Housewife with no income, une femme au foyer sans revenu !!!
Avec un style proche de celui de Katherine Pancol (Les Yeux jaunes des Crocodiles), Véronique reprend alors l’idée qui l’avait animée à Lille : créer un atelier d’écriture. « Toutes ces femmes françaises doivent bien avoir des histoires étonnantes à raconter. Accoucheuse d’histoires, quel beau projet ! »
Out of the blue - c Christophe Lehénaff
Ce nouveau projet de vie, c’est Hélène (Béatrice Cante) qui en parle le mieux. Au travers du récit de son quotidien dans la capitale ultra moderne d’un pays désertique, le Qatar, elle traduit avec une grande sensibilité l’envers du décor du développement de nos pays riches. Similaire et pourtant si différente de l’expatriation, l’immigration est ici décrite avec justesse à travers deux portraits de femmes : celui d’une Ethiopienne, réduite en esclave moderne au sein d’une riche famille quatarie ; et celui d’une mère philippine, obligée de laisser derrière elle ses enfants pour trouver un travail à Doha et d’envoyer l’argent à sa famille pour les nourrir.
Après un divorce, Adèle (Sandrine Halpin) a quitté seule la France et c’est à Londres qu’elle a choisi de construire sa famille. Comme elle le revendique, sa nouvelle emprunte davantage à la fiction, un récit haut en couleur et en aventures bien racontées.
L’histoire de Juliette (Nathalie Mercier), en quête d’enfant, clôt le recueil, en passant par la capitale des Pays Bas et la Roumanie, pour s’achever, comme chacune des cinq autres nouvelles, par la découverte salvatrice de l’atelier d’écriture.
Se souvenant des écrivains qu’elle invitait dans sa librairie française à Doha, Hélène déclare qu’elle a « toujours été curieuse de ces gens là, essayant de comprendre ce qui fait qu’un beau jour on passe de la lecture à l’écriture. »
Au final, ce recueil est une invitation réussie à franchir le pas de l’écriture ou c’est selon, une échappée belle pour découvrir une autre vie … Et pour vous, messieurs qui êtes à l’origine de ses vies d’expatriation, savoir reconnaitre ce qui se joue quand vous choisissez de partir avec famille et bagages vers une nouvelle aventure, sur une terra incognita …