04 Déc

Bulles d’histoire : douze BD pour un passé recomposé

Certains nous prédisent la fin de l’histoire depuis des lustres. Qu’on se rassure, du côté du neuvième art, l’histoire est et sera encore longtemps la matière première des auteurs, une source d’inspiration inépuisable et un terrain d’aventures sans limites pour les lecteurs. Réaliste ou humoristique, documentaire ou romancé, ce genre littéraire se porte mieux que jamais. En témoigne cette sélection de BD parues en 2025…

On ouvre avec le premier volet d’une nouvelle série dont le titre, à lui seul, attise la curiosité : Un Flic sous l’Occupation. Elle est signée par un duo bien connu des amateurs de bande dessinée historique : Philippe Richelle au scénario et Jean-Michel Beuriot au dessin. Tous deux sont les auteurs de la grande saga Amours fragiles, qui proposait déjà une immersion au cœur de la Seconde Guerre mondiale à travers une histoire d’amour poignante entre un soldat allemand et une jeune femme juive. Cette fois, le personnage central est un policier qui tente simplement d’accomplir le travail pour lequel il a été employé : faire respecter la loi, dans une France occupée et fracturée entre ceux qui tirent profit du contexte et ceux qui en souffrent. Et le résultat est, forcément, passionnant. (Profit garanti, Un Flic sous l’Occupation tome 1, de Richelle et Beuriot. Glénat. 17,50€)

Si vous comptez parmi les inconditionnels de Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot, sachez que la saga Amours fragiles, évoquée à l’instant, fait l’objet d’une réédition intégrale dans un format plus compact. Deux volumes sont à ce jour disponibles sur les trois prévus avec rien de plus, pas de bonus, mais rien de moins non plus. (Amours fragiles, Intégrale 1, de Beuriot et Richelle. Casterman. 32€)

On enchaîne avec une autre réédition en intégrale, il s’agit de Malgré nous, la saga de Thierry Gloris et Marie Terray. Les quatre albums parus entre 2009 et 2013 sont désormais réunis en un seul volume, enrichi d’un dossier sur le contexte historique de la série. Inspirée de l’histoire familiale du scénariste mais revendiquée comme une fiction, Malgré nous raconte le destin d’un jeune étudiant insouciant dont la vie bascule avec la Seconde Guerre mondiale et l’annexion de l’Alsace et de la Moselle au IIIᵉ Reich. Enrôlé de force dans la Wehrmacht, comme 132 000 autres Alsaciens et Mosellans – les fameux « Malgré-nous » – il se retrouve emporté dans un conflit qui le dépasse totalement, espérant ne jamais devoir combattre les siens. Une histoire dramatique traitée avec une grande justesse et portée par le dessin réaliste en couleurs directes de Marie Terray, qui signe ici son unique collaboration au monde du neuvième art. (Malgré Nous Intégrale, de Thierry Gloris et Marie Terray. Soleil. 39,50€)

Douze mille enfants d’origine juive ont été exterminés entre 1942 et 1944, rappelle en préambule Jean-Pierre Guéno, dont les nombreux écrits ont servi de base à cette bande dessinée. D’autres, cependant, ont survécu à la Shoah grâce à des Français qui les ont cachés, pas forcément des résistants, mais des hommes et des femmes qui refusaient simplement de fermer les yeux devant l’ignominie. Scénarisé par Serge Le Tendre et illustré par une dizaine de dessinateurs parmi lesquels Lidwine, David Lloyd ou encore Guillaume Sorel, l’album retrace le destin de quelques-uns de ces enfants rescapés. Il raconte leur survie, leurs blessures… et la manière dont chacun d’eux a dû apprendre à vivre avec l’absence, la peur et la mémoire, transformant leur histoire intime en un témoignage essentiel. (Les Enfants cachés, collectif. Soleil. 21,95€)

L’homme est entré au Panthéon le 9 octobre dernier, quarante-quatre ans jour pour jour après l’abolition de la peine de mort, le combat de sa vie. Figure majeure de la Ve République et de la justice française, Robert Badinter demeure un symbole de courage moral et de progrès humaniste. Son nom reste indissociable de ce tournant historique qui a profondément marqué la société et redéfini le rapport de la France à la dignité humaine.
À l’occasion de cette panthéonisation, les éditions Glénat ont réédité l’album que Marie Bardiaux-Vaïente, militante pour l’abolition universelle de la peine de mort, et Malo Kerfriden lui avaient consacré en 2019, en l’enrichissant d’un dossier historique d’une quinzaine de pages. Un récit rigoureusement documenté et porté par un dessin réaliste, sobre et expressif. (L’Abolition, le Combat de Robert Badinter, de Bardiaux-Vaïente et Kerfriden. Glénat. 23€)

Résistante à 18 ans, grand reporter après la guerre, infatigable militante pour la décolonisation et contre l’oppression des peuples, amie de Picasso, d’Éluard ou encore de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud est de ces figures exceptionnelles que seules les grandes heures de l’Histoire savent forger. Depuis 2021, le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail retracent son parcours remarquable, en s’appuyant à la fois sur ses souvenirs et sur une documentation historique fouillée. Ce quatrième volet clôt le cycle consacré à la Seconde Guerre mondiale ; le prochain s’intéressera aux années 1950 et notamment à son travail de journaliste. Porté par un découpage d’une remarquable fluidité, un trait sobre, élégant, précis et des atmosphères puissamment ancrées dans leur époque, Madeleine, Résistante constitue un témoignage essentiel pour l’humanité et un vibrant hommage à Madeleine Riffaud, disparue en novembre 2024. (Madeleine, Résistante, tome 4, de Bertail, Morvan et Riffaud. Dupuis. 25€)

Femmes battues, violences fondées sur le genre, violences machistes, violences conjugales, féminicides, violences intrafamiliales… Au fil du temps, et selon les contextes culturels ou géographiques, le vocabulaire utilisé pour désigner les violences sexistes et sexuelles a profondément évolué. Mais la réalité, elle, demeure tragiquement la même, avec des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : en 2024, 122 600 victimes de violences sexuelles ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie nationales, et 107 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Sur près de 400 pages d’un récit dense, documenté et solidement argumenté, Géraldine Grenet et Marie-Ange Rousseau proposent une approche historique de cette question, remontant jusqu’aux origines de la domination masculine fixée au Néolithique. On y parle des violences au sein du couple, mais aussi de celles qui s’exercent dans l’espace public, dans les milieux du pouvoir, de l’inceste, des violences obstétricales et gynécologiques, de l’évolution du droit ou encore du parcours judiciaire des victimes. Le propos, d’une gravité assumée, est contrebalancé par une mise en images qui apporte respiration, clarté et sens. (Les Combattantes, une histoire des violences sexistes et sexuelles, de Grenet et Rousseau. Delcourt. 32,50€)

Changement radical de thématique avec ces deux albums parus en octobre dans la nouvelle collection Fortunes de mer des éditions Glénat. À la manœuvre, Jean-Yves Delitte, peintre officiel de la Marine belge, membre titulaire de l’Académie des Arts & Sciences de la mer, et auteur d’une bonne centaine d’albums, dont un grand nombre consacrés à l’histoire de la navigation. Il s’intéresse ici à deux naufrages qui ont marqué leur époque, celui de La Blanche Nef en 1120 sur lequel avait notamment embarqué l’héritier du trône d’Angleterre, et celui du Lusitania en 1915, coulé par un sous-marin allemand. Chaque récit est complété par un cahier historique de 8 pages. À noter que l’album La Blanche Nef est bien scénarisé par Jean-Yves Delitte mais dessiné par les Italiens Marco Bianchini et Francesco Mercoldi. (La Blanche Nef et Le Lusitania, de Jean-Yves Delitte. Glénat. 16€ le volume)

Le récit de Georges Bensoussan, Danièle Masse et Yana Adamovic commence avec l’attaque sanglante du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, suivie de la riposte tout aussi meurtrière menée par Israël dans la bande de Gaza. L’horreur des deux côtés et une question essentielle pour tout le monde : comment en est-on arrivé là ? C’est à cette interrogation que l’album tente d’apporter des éléments de réponse en remontant loin dans le passé, bien au-delà de l’après-Seconde Guerre mondiale, jusqu’en 1881, année marquant le début de la première alya, ou première vague d’immigration sioniste en Terre d’Israël. Inscrit dans une démarche voulue aussi objective que possible, l’album s’appuie sur l’ouvrage éponyme de Georges Bensoussan — agrégé d’histoire et ancien directeur éditorial du Mémorial de la Shoah à Paris — publié dans la collection Que sais-je? en 2023. (Les origines du conflit israélo-arabe, de Bensoussan, Masse et Adamovic. Delcourt. 24,50€)

Principe fondateur de la démocratie française, la laïcité a été consacrée par une loi adoptée il y a tout juste 120 ans, le 9 décembre 1905. Communément appelée loi de 1905, elle proclame la liberté de conscience, ainsi que celle de manifester ses convictions dans le respect de l’ordre public. Elle garantit également la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et affirme l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient les croyances. Rien de moins ! Dans cet album publié aux éditions Delcourt, Arnaud Bureau — scénariste et historien de formation — et Alexandre Franc au dessin retracent le long chemin qui a conduit à l’adoption de ce texte majeur porté par Aristide Briand. L’ouvrage est dense, très complet et solidement documenté, tout en étant abordé avec une vraie légèreté graphique et narrative. (Laïcité : comment la loi de 1905 fut votée, de Bureau et Franc. Delcourt. 20,50€)

On termine cette sélection avec un album à la dimension romanesque, mais solidement ancré dans la réalité historique. Il retrace un épisode de l’histoire familiale d’Olivier et Jean-Laurent Truc, transmis depuis des décennies sur de simples feuilles dactylographiées. Le récit concerne leur arrière-grand-père, Hermentaire Turc, professeur d’ophtalmologie, chargé par le gouvernement français d’une mission aussi délicate que décisive : opérer le roi du Cambodge, Sisowath, afin de lui sauver la vue et, par la même occasion, de préserver la stabilité du protectorat français. Au-delà de ce fragment d’histoire familiale déjà passionant par lui-même, La Danseuse aux dents noirs nous plonge avec délectation sur cette terre d’aventure qu’est l’Asie du Sud-Est, avec une bonne dose de suspense, de complots et de trahisons. De quoi nous tenir en haleine jusqu’au bout des 130 pages. (La danseuse aux dents noires, d’Éric Stalner, Olivier Truc et Jean-Laurent Truc. Dupuis. 21,95€)

Eric Guillaud

29 Nov

Sur la route de Detroit Roma : l’Amérique en CinémaScope d’Elene Usdin et Boni

Impossible d’entendre Detroit Roma sans penser à Paris, Texas, une référence sans doute loin d’être anodine. Après René.e aux bois dormants, récompensé par le Grand Prix de la Critique ACBD 2022, Elene Usdin s’associe à son fils Boni pour livrer un récit d’une intensité rare : un road trip nourri de références cinématographiques et de failles intimes, dans une Amérique bien éloignée de son mythe…

Dans la vaste et déglinguée ville de Detroit, rongée par les faillites et le chômage, rien ne prédestinait Becki et Summer à se rencontrer. Issues de milieux sociaux opposés, l’une survit dans une bicoque délabrée aux côtés d’un père malade, sujet à des crises d’hallucinations, tandis que l’autre grandit dans une villa avec piscine, auprès d’une mère, Gloria, qui, jadis fut actrice mais vit désormais retranchée dans son monde, rejouant à l’infini les mêmes rôles.

C’est l’art qui finit par les rapprocher : Becki dessine, croque les silhouettes qui l’entourent et graffe sur les murs gris de la ville, tandis que Summer fréquente les milieux underground de Detroit et réalise des films. À la mort de Gloria, les deux femmes décident de prendre la route à bord d’une vieille Ford Galaxie rose décapotable. Direction Rome — non pas en Italie, mais dans l’État de Géorgie — un patelin sans autre intérêt que d’être la ville natale de Gloria, où Becki et Summer comptent bien répandre ses cendres.

Sur la route, entre confidences et silences complices, Becki et Summer rembobinent le fil de leur existence, révélant peu à peu les blessures, les espoirs et les zones d’ombre qui les ont construites et finissent par les rapprocher.

Passant d’un style graphique à l’autre, d’une technique à une autre, et animés par la volonté de transmettre au lecteur toute la palette émotionnelle de leurs personnages, Elene Usai et Boni nous embarquent dans plus de 350 pages d’un road-trip qui se lit comme un instantané de l’Amérique de 2015, jalonné de multiples clins d’œil au cinéma, à commencer par le très judicieux format à l’italienne, qui ouvre grand l’espace et magnifie les paysages. Impressionnant !

Eric Guillaud

Detroit Roma, de Elene Usdin et Boni. Sarbacane. 35€

19 Nov

La Vie secrète des arbres : une édition luxe de la BD tirée du best-seller de Peter Wohlleben au menu de Noël

Véritable phénomène de librairie, aussi bien dans sa version livre que bande dessinée, La Vie secrète des arbres revient pour les fêtes dans une somptueuse édition luxe pour le plus grand plaisir des amoureux de la nature…

Dire de ce livre qu’il est un phénomène de librairie est une évidence tant son succès dépasse les frontières habituelles du genre et touche un lectorat d’une étonnante diversité. La Vie secrète des arbres a d’abord connu une première vie en format livre non illustré (2015), avant d’en connaître une seconde en version illustrée cette fois (2017) et une troisième sous la forme d’une adaptation en bande dessinée (2023). Avec à chaque fois le même succès auprès du public, plus d’un million d’exemplaires vendus à ce jour toutes éditions confondues !

À l’approche de Noël, Les Arènes BD ont souhaité offrir une version luxe de cette adaptation en bande dessinée, un écrin au format généreux (245 X 332), avec verni sélectif grené, embossage, tranchefile, signet et dos toilé jaune.

© Les Arènes BD / Bernard, Flao & Wohlleben

Pour le reste, rien ne change : on y découvre l’histoire de Peter Wohlleben, ingénieur forestier qui considérait les arbres comme une ressource à exploiter, jusqu’au jour où il découvre une souche étonnamment maintenue en vie par les arbres alentour. Une révélation qui l’amène à s’interroger : les arbres pourraient-ils posséder une forme d’organisation sociale aussi structurée que celle des fourmis ?

C’est à partir de ce moment-là qu’il a réellement commencé à s’intéresser aux arbres. Et à les aimer. Une passion qu’il s’attachera ensuite à transmettre dans son livre et, par délégation, par affiliation presque, dans les différentes adaptations. Et de ce côté-là, Fred Bernard et Benjamin Flao ont fait un sacré boulot : loin de se contenter d’illustrer basiquement le propos, ils l’ont enrichi de leur sensibilité, de leur poésie et d’un brin d’humour, offrant au récit une profondeur nouvelle.

© Les Arènes BD / Bernard, Flao & Wohlleben

Et de découvrir les petits et grands secrets des forêts, de leur flore et de leur faune : un monde insoupçonné où se joue, mine de rien, l’avenir de notre civilisation. Comme le rappelle Peter Wohlleben : “Protéger les arbres, c’est protéger la Terre et l’humanité tout entière.” Un livre qui ravira les amoureux de la nature et fera peut-être réfléchir ceux qui ne le sont pas encore…

Eric Guillaud

La Vie secrète des arbres, de Fred Bernard et Benjamin Lao, d’après le livre de Peter Wohlleben. Les Arènes BD. Version luxe 39€, version classique 29,90€

16 Nov

Le Jour le plus long du futur de Lucas Varela : un récit SF qui laisse sans voix

Publié initialement en 2015 aux éditions Delcourt, le récit de Lucas Varela entame une deuxième vie chez Tanibis avec une version remaniée et augmentée d’une trentaine de planches supplémentaires… et toujours pas un mot !

Pas un mot, à peine quelques onomatopées, tout passe ici par le dessin de Lucas Varela. Bienvenue à Paradiso, sous le soleil exactement. C’est ici que tout commence avec, dans le rôle du touriste de base, un extraterrestre tout bleu venu s’offrir quelques heures de repos sans doute bien méritées, installé dans un transat planté au milieu de la plage. À ses côtés, son enfant, ou son animal de compagnie, une petite boule, elle aussi bleue, avec une poignée. C’est pratique pour le transport !

Et il a bien raison de se reposer, notre extraterrestre. Car à peine les deux ou trois premières pages passées, le voilà embarqué dans une histoire de dingues, dans un monde de dingues, où deux géants de l’industrie agroalimentaire s’affrontent à mort pour régner en maître sur la vie de chacun. Et lorsque l’un d’eux met la main sur la mystérieuse valise de l’Alien, il détient soudain une arme redoutable, capable de provoquer une véritable destruction massive. Autant dire que le chaos s’annonce mémorable…

Dans un style rétrofuturiste, l’Argentin Lucas Varela dépeint ici une société dystopique à souhait, sombre et sans pitié, où tout est sous contrôle, jusqu’aux individus eux-mêmes, broyés par un système qui ne laisse plus la moindre place à l’amour et à la liberté.

Eric Guillaud 

Le Jour le plus long du futur, de Lucas Varela. Tanibis. 25€

© Tanibis / Varela

11 Nov

L’Amour et la vermine : un recueil de dessins publiés dans le New Yorker signés Will McPhail

Il ne lui aura fallu qu’un seul livre pour s’imposer dans le vaste monde du neuvième art. Au-dedans, paru en janvier 2024, a été unanimement salué par la critique comme par le public, raflant au passage plusieurs distinctions prestigieuses, dont le Prix BD Fnac France Inter 2025. Will McPhail revient aujourd’hui avec L’Amour et la Vermine, un recueil d’illustrations publiées dans The New Yorker. Rien de moins que la confirmation d’un talent singulier.

Lorsque son premier album a débarqué dans nos librairies préférées en janvier 2024, il faut bien avouer qu’on ne connaissait pas grand-chose du bonhomme, si ce n’est qu’il œuvrait depuis plusieurs années pour le prestigieux New Yorker.

Mais peu importait l’homme : ce qui comptait sur le moment, c’était son livre, Au-dedans, qui, rien que par son titre et sa couverture, éveillait déjà notre curiosité.
Mais que pouvait bien raconter Au-dedans ? Une aventure intérieure — ou plus précisément, une aventure vers l’intérieur. La petite porte dessinée sur la couverture ouvrait la voie à cet espace intime. Et tout au long de l’ouvrage, une question revenait, obsédante : comment relier les intérieurs entre eux ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

© 404 Graphic / Will McPhail

Avec Au-dedans, l’année 2024 démarrait fort pour tous les amoureux du neuvième art et pour Will McPhail surtout, qui allait récolter les éloges de la presse, du public et des professionnels de la bande dessinée. Plusieurs milliers d’exemplaires vendus et une poignée de récompenses plus tard, l’auteur anglais revient avec une nouvelle pépite, L’Amour et la Vermine, un recueil rassemblant quelque 250 de ses illustrations parues dans The New Yorker.

On y retrouve ce style qui nous avait séduits dès les premières pages d’Au-dedans : un trait réaliste d’une grande précision, des personnages aux yeux écarquillés, un dessin épuré, un humour d’une finesse rare, un sens aigu de l’observation et un regard d’une lucidité saisissante sur notre monde.

Eric Guillaud

L’Amour et la vermine, de Will McPhail. 404 Graphic. 35€

© 404 Graphic / Will McPhail

07 Nov

« Je cherchais le fils et j’ai trouvé le père » : le scénariste Philippe Pelaez accompagné de Bernard Khattou au dessin remonte aux origines des Kennedy

Sur près de 500 pages, Philippe Pelaez et Bernard Khattou remontent le fil d’une destinée hors norme, celle d’une famille dont les rêves de gloire se sont souvent heurtés à la fatalité. Kennedy(s), une épopée graphique où l’Histoire croise la légende.

« Je cherchais le fils et j’ai trouvé le père » : ainsi débute la postface de Philippe Pelaez en ouverture d’un dossier très complet accompagnant le récit en bande dessinée. Il cherchait le fils, John Fitzgerald Kennedy, pour en raconter l’ascension et la fin tragique que nous connaissons tous, son assassinat à Dallas en 1963.

Mais en rassemblant sa documentation, le scénariste a vu émerger une autre figure tout aussi incontournable, celle du père, Patrick Joseph Kennedy. Un homme né sur le sol américain de parents irlandais ayant fui la famine qui ravageait leur pays, et qui allait, par son ambition démesurée, jeter les bases d’une dynastie aussi puissante que tourmentée.

© Glénat / Pelaez & Khattou

Sur près de 500 pages en noir et blanc, Kennedy(s) — avec ce s qui souligne d’emblée la dimension plurielle du récit — retrace l’histoire d’une famille hors norme, entre réussites éclatantes et tragédies successives.

L’histoire commence quelque part sur les quais de Boston en 1849 avec l’arrivée en Amérique de Patrick Joseph Kennedy et s’étend jusque dans les années 1960 avec la mort du petit-fils, président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy, assassiné lors d’un déplacement à Boston, un siècle d’une histoire familiale qui a toujours flirté avec la mort, un siècle de l’histoire d’une nation et au-delà un siècle de l’histoire du monde contemporain. 

© Glénat / Pelaez & Khattou

S’appuyant sur une documentation phénoménale, dont témoigne l’imposante bibliographie en fin d’ouvrage, Philippe Pelaez cherche à éclairer l’origine du mythe Kennedy, précisément là où se nichent sans doute les explications de la tragédie de Dallas. Graphiquement, Bernard Khattou, dont on a déjà pu mesurer le talent dans Bikini Atoll ou Sunlight, enchaine les pages avec un trait réaliste alliant précision et sens du détail, embarquant littéralement le lecteur au cœur de l’histoire.

Eric Guillaud

Kennedy(s), de Pelaez et Khattou. Glénat. 38€

Lucky Luke, une figure iconique de la BD remise en selle par Brüno et Appollo

Près de quatre-vingts ans après sa création, Lucky Luke continue de faire rêver et d’inspirer. Le dessinateur nantais Brüno et le scénariste réunionnais Appollo revisitent le mythe du cow-boy solitaire dans Dakota 1880, un hommage à la fois respectueux et audacieux au héros de Morris et Goscinny. Rencontre…

© Photo : France 3 Pays de la Loire / Eric Guillaud – Illustration : Dargaud / Lucky Comics

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29 Oct

Utopiales 2025 : dix-huit BD SF pour se faire une idée du futur

Le Festival international de science-fiction se tient à Nantes du jeudi 30 octobre au dimanche 2 novembre. Des centaines de chercheurs et d’auteurs, ainsi que des milliers de visiteurs, sont attendus pour débattre, imaginer et penser l’avenir autour du thème « Singularités ». Histoire de se mettre la tête dans les étoiles, voici une sélection de bandes dessinées de science-fiction parues cette année, certaines d’entre elles étant d’ailleurs en lice pour le Prix Utopiales BD 2025

On commence avec le quatrième volet de Bug d’Enki Bilal, qui nous plonge dans un futur proche où tout a disparu : les réseaux sociaux, les disques durs du plus gigantesque serveur à la plus minuscule clé USB, les données, les archives, toute la mémoire du monde. Nous sommes en présence d’un Bug Numérique Généralisé. Conséquence directe et immédiate, l’humanité est dans la merde!

Dans ce chaos, un homme émerge, Kameron Obb, cosmonaute et unique survivant d’une mission sur Mars. Il revient sur Terre avec un alien en lui, un espèce de bug extraterrestre qui s’est posé sur ses cervicales. Et surtout, l’homme souffre d’une hypermnésie singulière, comme si toutes les données numériques, toute la mémoire du monde avaient migré dans son cerveau. C’est Internet à lui tout seul !  Autant dire qu’il devient l’objet de toutes les convoitises, le monde entier le réclame et certains par des moyens radicaux. (Bug tome 4/5, de Bilal. Casterman. 20€)

Abara, Blame 0, Biomega... Tsutomu Nihei s’est fait connaître au Japon et en Europe avec des récits SF sombres, désespérés, violents, oppressants, organiques, reconnaissables entre tous et récemment réédités dans une version Deluxe aux éditions Glénat. Il revient aujourd’hui avec un récit de fantasy, Tower Dungeon, graphiquement un peu moins torturé mais toujours aussi percutant et efficace. Au cœur de l’histoire, une princesse, enlevée par un nécromancien maléfique et enfermée dans la tour des dragons. Pour la libérer, la garde royale va devoir affronter quelques délicieux monstres. Le second volet vient de sortir. (Tower Dungeon, tome 2, de Tsutomu Nihei. Glénat. 7,90€)

Depuis 2011 et son premier album, La Belle Mort, Mathieu Bablet ne cesse de nous surprendre — pour ne pas dire de nous émerveiller — bâtissant, trait après trait, page après page, un univers d’une richesse exceptionnelle, où la précision du dessin rivalise avec la profondeur du propos. Après Shangri-La (2016) et Carbone & Silicium (2020), l’auteur poursuit son exploration des mondes futurs avec Silent Jenny, un impressionnant roman graphique de près de 300 pages, dont chacune force le respect.

Dans ce nouveau récit, les abeilles ont disparu, emportant avec elles toute possibilité de pollinisation, et donc de survie pour une grande partie du vivant. L’humanité vacille, mais parvient à se réorganiser et à subsister au sein de monades, d’étranges habitats collectifs, mobiles et brinquebalants. C’est dans ce monde en sursis que Jenny, une jeune scientifique, parcourt les coins et recoins de la planète à la recherche des dernières traces d’ADN d’abeilles, dans l’espoir de les cloner et, peut-être, de reconstruire le monde d’avant.

S’il se dit inspiré par la science-fiction des années 70 et notamment par les productions publiées dans Metal Hurlant, Mathieu Bablet fait preuve d’une maîtrise narrative et graphique impressionnante, élaborant un univers bien à lui, foisonnant de détails. (Silent Jenny, de Mathieu Bablet. Label 619. 31,90€)

En trois albums seulement, Philippe Valette s’est imposé comme un nom incontournable de l’humour. Mais fini de rire : après Georges Clooney et Jean Doux et le mystère de la disquette molle (Fauve Polar SNCF 2018), l’auteur signe en 2025 L’Héritage fossile, un récit de science-fiction au ton grave et à la mise en scène cinématographique. Le thème : les limites de la civilisation face à l’immensité du cosmos.

Le résultat est bluffant. Scénario limpide, dialogues percutants, découpage ultra-efficace, graphisme inspiré de l’animation : tout concourt à une lecture immersive.

Le récit s’inscrit dans la lignée de la SF dite classique tendance « conquête de l’espace » : un équipage, conduit par le milliardaire Reiz Iger, part coloniser Geminæ, planète idéale située à 19 999 années de la Terre. En biostase, les voyageurs se réveillent tous les 25 ans pour entretenir leur vaisseau, l’Héritage. Mais le contact avec la Terre se rompt, et un mal étrange ronge leurs corps. Entre la survie de la civilisation et leur propre survie, les astronautes vont devoir faire un choix douloureux…

Valette interroge ici notre rapport au progrès, à la survie et à la finitude, tout en livrant une aventure haletante, influencée par 2001, l’Odyssée de l’espace, L’Armée des 12 singes, Spin ou Silo.

Un récit puissant, visuellement éblouissant, et un superbe objet de lecture. (L’Héritage fossile, de Philippe Valette. Delcourt. 34,95€)

Qu’il neige l’hiver à Montréal, rien de plus normal. Le contraire serait même inquiétant. Mais autant de neige ? Et un hiver aussi long ? Au point que des quartiers entiers de la ville se retrouvent ensevelis ? La faute à l’accident survenu dans la centrale nucléaire de Gentilly 3. Depuis, la principale ville du Québec vit un hiver nucléaire. De quoi donner envie de rester au chaud sous la couette. Mais pas question pour Flavie : la jeune fille doit assurer ses livraisons en motoneige, braver le froid, les tempêtes et les mutants qui rôdent dans la ville pour apporter les commandes à des clients pas toujours très sympathiques. Et tant pis si elle-même a été irradiée et développe depuis un super-pouvoir à la Hulk.

Publié initialement en trois volumes de l’autre côté de l’Atlantique, Hiver nucléaire nous arrive aujourd’hui sous la forme d’une intégrale : 260 pages d’un récit d’anticipation qui préfère l’humour à la violence, la dérision à la noirceur. Le tout est porté par un dessin au style un brin naïf mais profondément attachant, à l’image de son héroïne. (Hiver nucléaire, de Cab. Steinkis – Aux Confins. 24€)

2070, quelque part en France. Camille et Gloria auraient pu vieillir tranquillement l’un à côté de l’autre, prenant soin l’un de l’autre, comme beaucoup de retraités ! Mais une révolution médicale est passée par là, bouleversant le quotidien du couple et de nombreux autres. Cette révolution a pour nom Le Prolongement et permet de repousser les limites de la vieillesse. Si Camille est resté totalement insensible à cette promesse d’éternité, ce n’est pas le cas de Gloria qui, depuis des années, passe son temps allongée dans un caisson éterniseur installé dans la cave de la maison.  Jusqu’au jour où ce fameux éterniseur tombe en panne…

Ne plus vieillir ! Et si l’un des plus vieux rêves de l’humanité devenait une réalité ou, du moins, une possibilité pour quelques-uns d’entre nous ? Dans sa première bande dessinée, Gwendal Le Bec explore avec finesse et légèreté les thématiques du temps qui passe, de l’amour et de la mortalité… Avec cette question : à quoi bon décrocher l’éternité quand vos proches n’en veulent pour rien au monde ? Une fiction d’anticipation au style léger, drôle et sensible. (Le Prolongement, de Gwendal le Bec. Casterman. 25€)

Série culte de la SF francophone, Aquablue revient en 2025 avec deux nouveaux albums signés Fred Duval (scénario) et Stéphane Louis (dessin). Trente-sept ans après sa création par Thierry Cailleteau et Olivier Vatine, la saga écologique et humaniste n’a rien perdu de sa force.

On y retrouve Nao, toujours au cœur du récit, confronté cette fois à la mort mystérieuse des Uruk Uru, créatures marines vénérées d’Aquablue. Pour élucider le mystère et renouer avec son fils Ylo, il devra braver l’interdiction de retourner sur sa planète natale.

Action, humour et engagement écologique demeurent les piliers de cette série visionnaire. Côté graphisme, Stéphane Louis s’en sort très bien avec un dessin qui ne joue pas l’esbroufe mais vise l’essentiel, l’efficacité avant tout, les couleurs de Véra Daviet faisant le reste du boulot. Du divertissement avec un D majuscule ! (L’Oeuf de Lochshore, Aquablue tome 20, de Duval, Louis, et Daviet. Delcourt. 15,50€)

Si vous aimez les mutants et les créatures mécaniques, vous allez être servi avec cette première œuvre de Chang Sheng (également auteur de Yan), une trilogie dont le troisième tome vient de sortir. Au cœur du récit, on suit Elisa, l’une des rares humaines rescapées de l’apocalypse, qui survit dans un Taïwan en fin de vie, aux rues délabrées, et envahi par un parasite inconnu, Baby, qui transforme les êtres humains en monstres mécaniques. L’humanité est proche de l’extinction. Elisa, elle-même, est attaquée par un mutant. Un Baby réussit à s’introduire dans sa main gauche, mais elle échappe à la mort et compte bien trouver l’origine de ce parasite. Un univers futuriste des plus noirs, une héroïne attachante et forte de caractère, un graphisme limpide et dynamique… une très belle série. (Baby tome 3, de Chang Sheng. Glénat. 14,95€)

Les forêts verdoyantes ne sont plus qu’un vague souvenir, l’air doit dorénavant être filtré, la mer est définitivement empoisonnée. Bref, la Terre n’est plus qu’une planète morte qu’il devient urgent de quitter. Mais pour aller où ? C’est à cette question que Léla, astronaute à bord du télescope Ulysse, pourra peut-être répondre un jour. Nous sommes le 22 octobre 2283 quelque part dans l’immensité de l’espace, la jeune femme entame sa 784ᵉ journée de mission en dictant son rapport à l’ordinateur central. Même si la solitude commence à lui peser, et son amie à lui manquer, Léla n’oublie pas qu’elle était volontaire pour cette mission. Elle assume mais ça risque d’être un long, un très long voyage.

Premier album de l’Italien Gabriele Melegari, Au-delà de Neptune est un récit de science-fiction dans la veine de 2001, l’Odyssée de l’espace, né d’une photographie emblématique, celle du premier trou noir prise par le télescope Event Horizon et rendue publique en 2019. Graphiquement, l’auteur a privilégié l’usage de la gouache, ce qui apporte une belle profondeur à ce voyage spatial et de splendides illustrations de l’univers. Un récit onirique, intimiste et poétique. (Au-delà de Neptune, de Gabrielle Melegari. Steinkis – Aux Confins. 24€)

« Dans la vie, il n’y a pas de personnages principaux ni secondaires. » Tout est dit. Dans Les Météores, pas de héros, seulement des êtres ordinaires — Floyd, Hollie, Don, Gary, Charlie, Elijah — occupés à vivre, ou plutôt à survivre. Même lorsqu’une météorite menace d’anéantir la planète, personne ne s’affole : chacun continue sa route, résigné, humain.

Après Empire Falls Building, Deveney et Redolfi quittent la verticalité du gratte-ciel pour une horizontalité apaisée, servie par un format à l’italienne et un découpage presque cinématographique. Le trait léger, les teintes hivernales et la lumière douce accompagnent à merveille ce récit fragmenté, poétique et suspendu. Un album intimiste, universel, d’une délicatesse rare. (Les Météores – Histoires de ceux qui ne font que passer, de Jean-Christophe Deveney et Tommy Redolfi. Delcourt. 34,95€)

La couverture annonce la couleur, la couleur et la teneur : un monde en fin de course baigné dans une lumière à dominante jaune et orange. Et dans ce monde-là, Géo, éboueur de l’espace, échoué là à la suite d’une panne de son vaisseau-benne, erre au milieu des vestiges d’une société disparue. La Terre n’est plus qu’une immense décharge et l’humanité a trouvé refuge sur une planète artificielle en forme de méduse, les plus fortunés habitant la cloche, le dôme, les autres étant relégués dans les tentacules, vastes salles des machines faites d’une multitude d’ascenseurs, de tunnels et de passerelles. Seul sur la Terre, Géo tombe sur un exemplaire de La Tempête de Shakespeare, un livre qui pourrait bien le guider dans cet environnement hostile…

Artiste protéiforme, illustrateur, designer, auteur de comics expérimentaux, le Néerlandais Viktor Hachmang nous invite ici à une immersion vertigineuse dans un univers où l’humanité a finalement détruit son propre foyer. Un imaginaire profondément personnel, un style graphique nourri par les plus belles années du magazine Metal Hurlant et une palette de couleurs audacieuse font de la lecture de L’Arpenteur une véritable expérience graphique et scénaristique. (L’Arpenteur, de Viktor Hachmang. Casterman. 20€)

Didier Tarquin. Ce nom vous dit forcément quelque chose. C’est le dessinateur de l’une des séries phares de l’heroic fantasy en BD, Lanfeust de Troy. Il revient en auteur complet cette fois sur une aventure de SF dont le premier volet est sorti au début de l’année 2019. U.C.C. Dolores, c’est son nom, a tout du western intergalactique et peut-être déjà tout d’un classique du genre. « Quand on parle de western en bande dessinée… », explique l’auteur, « il y a une œuvre qui vient immédiatement à l’esprit. Une et une seule : Blueberry. Avec, évidemment, la patte de Giraud. J’avais envie de retrouver ça, de faire quelque chose de très classique – de néo-classique, disons. Une BD moulée à la louche et au pinceau, c’était comme un besoin de revenir aux fondamentaux quelque part ».  Inutile de vous dire que le résultat est graphiquement sublime. Quant à l’histoire, celle d’une orpheline élevée dans un couvent qui se retrouve du jour au lendemain propriétaire d’un croiseur de guerre baptisé U.C.C. Dolores, on ne peut qu’être conquis. Le septième volet qui clôt le cycle des Sables de Tishala vient de sortir ! (Les ombres d’Okotsha, U.C.C. Dolores tome 7, de Didier Tarquin et Lyse Tarquin. Glénat. 13,90€)

On fait un bond dans le temps pour se retrouver 500 ans après le grand effondrement. La planète Terre n’est plus qu’un immense champ de ruines rongées par des pluies acides. La faute à qui ? La faute aux hommes bien sûr qui ont précipité la fin de l’humanité en s’entêtant pendant des années dans un projet de folie : installer un générateur d’énergie propre sur la Lune pour alimenter les infrastructures terriennes destinées à dépolluer l’atmosphère et les océans. Et ce générateur d’énergie propre n’est ni plus moins qu’une forêt. Une immense forêt…

Ce premier volet d’une trilogie dont on devrait voir le bout en 2026 selon l’éditeur, donc, avec un peu de chance, avant le grand effondrement prévisible de l’humanité, joue habilement sur les contrastes. Le dessin, à la fois imaginatif, moderne et très coloré, adoucit un récit apocalyptique d’une grande noirceur, même si quelques spécimens sont encore là pour témoigner et tenter de changer la fin de l’histoire. À méditer ! (L’Ascenseur, Avaler la Lune tome 1, de Castel, Cousin et Jarry. Casterman. 20€)

De quoi sera fait demain ? Les livres seront-ils encore écrits par des humains ? Les intelligences artificielles remplaceront-elles éditeurs et boulangers ? Et qui peuplera les premières colonies interplanétaires ? Autant de questions – parmi bien d’autres – explorées dans cet ouvrage collectif réunissant Jean-Christophe Chauzy, Christian de Metter, Aurélien Ducoudray, Guillaume Dorison ou encore Jean-Michel Ponzio.

Chacun, avec son style, imagine en quelques pages un futur proche et crédible, nourri des mutations déjà à l’œuvre : intelligence artificielle, emprise des réseaux sociaux, dérèglement climatique, conquête spatiale… Des visions multiples, parfois inquiétantes, mais toujours révélatrices d’un monde dans lequel la fiction rattrape peu à peu la réalité. (2050, collectif. Philéas. 19,90€)

Ils nous avaient emmenés dans un monde à la Jules Verne avec Le Voyage extraordinaire, Silvio Camboni et Denis-Pierre Filippi sont de retour avec Prima Spatia, de la SF de haut vol mettant en scène une jeune fille de 17 ans, Alba, cloitrée pour sa sécurité sur un astéroïde privé, loin de tout, loin de ses parents, jusqu’au jour où elle est enlevée et se retrouve, elle et sa gouvernante, à errer pendant des mois à travers l’espace avant d’être finalement recueillie à bord de La Flèche, un navire cosmique conçu pour chasser les créatures stellaires…

Dès les premières pages du volet d’ouverture, le ton était donné, Prima Spatia faisait dans la grande aventure intergalactique tendance space opera avec un dessin, des couleurs, une galerie de personnages, de toute beauté et un scénario relativement classique mais malin, glissant ici et là quelques problématiques contemporaines. Une histoire en trois volets. (Prima Spatia, de Filippi et Camboni. Vents d’Ouest. 14,95€)

2779, quelque part dans l’espace confédéré. La jeune fugueuse Kristina parvient à rejoindre clandestinement la planète Drenn grâce au cartel des Cimes pour qui elle est censée travailler un mois. C’est le prix à payer pour ce voyage. Mais une fois sur place, les quatre semaines se sont transformées en six mois. Et la brutalité du Cartel ne laisse aucune marge de manœuvre. Alors, Kristina courbe l’échine un temps avant de se redresser, de gravir les échelons des mafias extraterrestres et d’en devenir la reine…

Spin off d’Orbital, une série de Runberg et Pellé,Outlaws nous embarque dans le monde des mafias galactiques en compagnie de la sœur de Caleb, héros d’Orbital. Le troisième volet vient de paraître ! (Prémisses, Outlaws (tome 3), de Runberg et Chabbert. Dupuis. 15,50€)

On le sait, l’auteur belge Hermann est un véritable métronome, livrant presque chaque année une nouvelle aventure de Jeremiah et ce depuis la création de la série en 1979. Quarante-deux albums en quarante-six ans d’existence, Jeremiah fait partie des séries phares de l’histoire du neuvième art, même si toutes les péripéties du célèbre tandem formé par Kurdy et notre héros éponyme ne se valent pas forcément. Et cette fois encore, la livraison annuelle ne se révèle pas totalement indispensable même si l’on retrouve ces décors et paysages qui nous ont fait défaut dans les deux épisodes précédents, noyés dans un épais brouillard. Dans cette nouvelle aventure, Jeremiah s’est fait embaucher comme serveur au Lilly Palace histoire de se refaire une santé financière. Mais bien évidemment, rien ne va se passer comme prévu dans cet univers post-apocalyptique et crépusculaire où se bousculent les psychopathes les plus dangereux. (Les Larbins, Jeremiah tome 42, de Hermann. Dupuis.13,50€)

On termine avec une collection lancée en mars 2024. Huit tomes sont prévus, six sont d’ores et déjà disponibles. Véritable voyage d’étude à travers le système solaire, chaque album est consacré à une planète et mêle fiction et savoir scientifique, grâce à la participation active de chercheurs de l’Observatoire de Paris – PSL.

On termine avec une collection lancée en mars 2024 qui se présente comme un véritable voyage d’étude à travers le système solaire. Huit albums sont prévus, six sont d’ores et déjà disponibles. Chacun d’eux est consacré à une planète et propose une fiction permettant d’aborder la science de façon sérieuse grâce à la participation active de scientifiques experts à l’Observatoire de Paris – PSL.

Quel est le diamètre de la planète rouge ? Peut-on trouver de l’eau à sa surface ? Quelle est la structure interne de Jupiter ? Quels sont ses satellites ? De quoi est constituée l’atmosphère de Vénus. Autant de questions et plus encore qui trouvent réponses ici, à la fois dans la fiction et dans le dossier qui conclut chaque aventure. Et si vous souhaitez vraiment prendre de la distance avec la Terre et ses satanés Terriens sans vous ruiner, je vous conseille vivement cette collection… (Vénus, la fournaise acide, Système solaire tome 6, de Lecigne, Khaled et Dujardin. Glénat / Observatoire de Paris PSL. 16€)

Eric Guillaud 

26 Oct

Michel Vaillant toujours en pole position

Né de l’imagination de Jean Graton en 1957, le légendaire Michel Vaillant a vécu mille et une aventures sur les circuits du monde entier. Et ce n’est pas fini : près de soixante-dix ans plus tard, notre pilote préféré continue de tracer sa route…

Si la première saison, avec ses 70 albums et plus de 20 millions d’exemplaires écoulés dans le monde, a bâti la légende de Michel Vaillant, la deuxième s’est imposée dès la première aventure comme un renouveau : respectueuse de l’héritage de Jean Graton et de sa galerie de personnages, mais résolument tournée vers la modernité, dans la forme comme dans le ton.

Bingo ! Michel Vaillant repartait pour une seconde vie. Nous étions en 2012. Treize ans et quatorze albums plus tard, notre héros intergénérationnel est toujours en course.

Dernier album en date, Remparts nous emmène pour Angoulême, sur le mythique circuit des remparts, pour une course de voitures historiques. C’est là que l’entreprise Vaillante a décidé de dévoiler au public son nouveau modèle révolutionnaire. Mais alors qu’elle traverse déjà une situation financière délicate qui pourrait l’éloigner un temps de la compétition, la firme se voit dérober sa voiture d’exposition et kidnapper son célèbre pilote. (Remparts, Michel Vaillant Saison 2, de Lapière, Bourgne et Eillam. Graton. 16,95€)

Si tout le monde connaît Michel Vaillant, ne serait-ce que de nom, beaucoup moins savent qui est Henri Vaillant, son père, une figure de second plan dans la série, mais un pilier de l’univers. Car sans lui, pas de Vaillante, pas de Michel, pas de légende ! Dans cet album, Marc Bourgne au scénario et Claudio Stassi au dessin retracent le parcours de vie d’Henri Vaillant, son embauche chez Bugatti, sa rencontre avec Elisabeth qui deviendra sa femme, les premiers tours de roues de la Vaillante au Mans, la création de la firme Vaillante, l’entrée en guerre en 1939, son action dans la Résistance, la Libération, la compétition… et les débuts d’un certain Michel Vaillant au volant d’une Vaillante. Un album destiné aux fans de la série mais pas seulement, Henri Vaillant remonte le temps en mode fiction pour nous faire revivre le monde automobile du XXᵉ siècle. Une fresque vibrante qui raconte la naissance d’une légende. (Henri Vaillant, Une vie de défis, de Bourgne et Stassi. Graton. 25€)

Le personnage de Michel Vaillant fait son apparition en 1957 dans les pages du Journal de Tintin. Mais son créateur, Jean Graton, y travaille déjà depuis plusieurs années, signant notamment des histoires courtes consacrées au sport automobile. Dans cet album, intitulé Michel avant Vaillant de la série Michel Vaillant Histoires courtes, on retrouve treize de ces histoires publiées entre 1954 et 1964 qui préfigurent selon l’éditeur ce que seront les aventures de Michel Vaillant. Bugatti, Fangio, Dunlop, Ascari ou encore Nuvolari, on y retrouve les grands noms qui ont fait la compétition automobile du XXᵉ siècle. Un recueil de fac-similés tirés directement du journal Tintin. (Michel avant Vaillant, Histoires courtes tome 4, de Jean Graton. Graton. 15,50€)

Et si votre truc à vous, c’est plutôt la moto, don’t move, j’ai ce qu’il vous faut ! Julie Wood, l’autre grand personnage de Jean Graton, qui a vécu des aventures en solo avant d’être intégrée dans l’univers Michel Vaillant, a repris elle-aussi du service dans une deuxième saison. Au menu, un sérieux lifting graphique et un reboot scénaristique qui nous permet de la retrouver à l’âge de 18 ans dans notre monde actuel. Avec en prime, une enquête sur la mort des parents de la jeune femme. Et qui signe le dessin ? Claudio Stassi, celui-là même qui a réalisé l’album Henri Vaillant. (Mortel rodéo, Julie Wood (saison 2), de Pelaez et Stassi. 15,50€)

Eric Guillaud

24 Oct

Etienne Davodeau signe une BD sur l’accompagnement des personnes atteintes d’Alzheimer

Entre fiction et réalité, l’auteur angevin Étienne Davodeau s’est imposé comme une voix singulière dans le paysage du neuvième art. Il revient aujourd’hui avec Là où tu vas, un récit mettant en lumière le métier de sa compagne, Françoise Roy, accompagnatrice au quotidien des personnes atteintes de troubles cognitifs.

Étienne Davodeau © Chloé Vollmer-Lo

Depuis son village angevin, Étienne Davodeau a écrit et dessiné une bonne quarantaine de bandes dessinées essentielles, tantôt des fictions, tantôt des documentaires, dans les deux cas, des récits sensibles et profondément humains, où il explore sans relâche le réel, le quotidien et l’intime.

Avec toujours ce souci de la proximité ! Dans Rural !, sa première bande dessinée documentaire, Étienne Davodeau mettait en scène des agriculteurs angevins confrontés à la construction d’une autoroute. Dans Les Mauvaises Gens, il revenait sur le passé militant de ses parents. Dans Les Ignorants, il racontait une initiation croisée avec un voisin viticulteur. Enfin — mais les exemples pourraient se multiplier — Loire offrait un voyage au cœur des sentiments humains et de la nature qui l’entoure.

Cette fois, son regard s’est posé sur une personne encore plus proche, celle avec qui il partage sa vie depuis quarante ans, sa compagne, Françoise Roy, dont le métier est d’accompagner les personnes atteintes de troubles cognitifs, Alzheimer et autres. Inlassablement, pendant quinze ans, il lui a proposé de réaliser une bande dessinée sur son travail. Inlassablement, elle a refusé. Jusqu’à ce qu’elle accepte, estimant qu’il était temps de porter à la connaissance de tous la réalité de ce métier invisible, fait de patience, d’écoute et d’humanité. Interview…

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