14 Sep

Contrapaso, un polar de Teresa Valero dans l’Espagne de Franco

Initialement publié en 2021, le premier volet de Contrapaso bénéficie aujourd’hui d’une réédition dans la collection Aire Noire, alors que sort le deuxième tome. Deux excellentes raisons de (re)plonger dans le récit de Teresa Valero, au cœur de l’Espagne franquiste…

Dix-sept ans que ça dure ! Dix-sept ans qu’Emilio Sanz, journaliste aux faits divers du quotidien La Capitale à Madrid, traque un meurtrier insaisissable. Dix-sept ans de théories, d’hypothèses et de fausses pistes. Les victimes n’ont rien en commun, si ce n’est d’être des femmes. Jamais de mobile sexuel, mais toujours une mise en scène macabre, presque théâtrale. Et à chaque fois, une corde. Non pas utilisée pour tuer, mais disposée de façon à dessiner une lettre. C’est du moins la conviction de Léon Lenoir, le jeune binôme de Sanz…

Au-delà d’être un excellent polar, Contrapaso a le mérite de nous immerger, avec une force remarquable et une précision documentaire, dans l’Espagne des années 1950, celle de la dictature franquiste et des phalangistes, un pays refermé sur lui-même, conservateur à l’excès, gangrené par la misère, mais qui, comme l’illustre parfaitement ce récit, cherche à se donner une légitimité sur la scène internationale, en rejoignant l’ONU et en ouvrant ses frontières aux équipes de cinéma comme aux troupes américaines.

Si Teresa Valero fait ses premiers pas dans la bande dessinée en tant que scénariste, notamment avec la série Sorcelleries dessinée par Juanjo Guarnido, elle se tourne très rapidement vers le dessin. Avec Contrapaso, elle signe pour la première fois une œuvre en autrice complète : un scénario dense, solidement construit, servi par un trait réaliste et expressif, légèrement stylisé, où chaque détail compte, des atmosphères pesantes et sombres à l’image de cette période, un découpage et des cadrages cinématographiques qui renforcent la tension dramatique.

Eric Guillaud

Contrapaso, tomes 1 et 2, de Teresa Valero. Dupuis. 25€

© Dupuis / Valero

11 Sep

Le coin des mangas. Kiki la petite sorcière, Berserk, Dragon Ball, Le Dernier écho de notre existence, Dorohedoro All-Star Guide Book, Baby, Sakamoto Days, Tower Dungeon…

 

 On commence avec une valeur sûre, Kiki la petite sorcière, qui rejoint, sous plusieurs formats, la collection initiée par les éditions Glénat il y a quelques années maintenant autour de l’œuvre de Miyazaki. Véritable chef-d’œuvre de l’animation, Kiki la petite sorcière est sorti en 1989 juste après Mon Voisin Totoro et avant Porco Rosso, deux autres chefs-d’œuvre signés Miyazaki. L’histoire ? Kiki est une petite sorcière de 13 ans et comme le veut la coutume à son âge, elle doit quitter ses parents pour faire son apprentissage loin d’eux. Un soir de printemps, elle enfourche son balai, atterrit dans une grande ville du bord de mer où elle crée un service de livraison volant. Là, pendant des mois, elle découvre que la vie de sorcière n’est pas un long fleuve tranquille… Trois formats écrivais-je précédemment : un album illustré pour les plus jeunes (17,90€), un manga ou plus exactement un anime comics (15,50€) et un artbook, baptisé L’Art de Kiki la petite sorcière (24,90€) qui nous permet de découvrir les coulisses de la réalisation de l’anime, plus de 200 pages d’illustrations, de croquis, de secrets de conception, d’anecdotes de production et dans les dernières pages le script complet du film. Que demander de plus ? (Kiki la petite sorcière, de Miyazaki. Glénat)

On continue avec une réédition. Et pas n’importe laquelle, celle du cultissime manga de Kentaro Miura, Berserk. Cette nouvelle édition grand format, sous couverture rigide, bénéficie d’une traduction entièrement revue et propose des pages couleurs exclusives. L’occasion rêvée de redécouvrir ce chef-d’œuvre de dark fantasy dans les meilleures conditions. Plongée garantie dans un Moyen Âge plus sombre que jamais, aux côtés de Guts, mercenaire au bras artificiel et à l’épée titanesque, et de Puck, un elfe espiègle issu d’un peuple féerique. Tandis que l’un incarne la violence brute, l’autre en atténue les ténèbres. Le second volume sorti en juin réunit les tomes 3 et 4 de l’édition originale. Un troisième volume est annoncé pour novembre. Bienvenue en enfer ! (Berserk tome 2, de Kentaro Miura. Glénat. 24,90€)

Une autre série culte. Quarante ans d’existence, des millions et des millions d’albums vendus à travers la planète, des adaptations en films d’animation, en jeux, des produits dérivés comme s’il en pleuvait… et une nouvelle collection pour ce bijou du manga du sieur Akira Toriyama, une collection Full Color et grand format dont la publication a débuté en mai 2024. Cette nouvelle édition reprend les mêmes pages que l’édition traditionnelle (42 volumes)  mais est divisée en arcs scénaristiques. Le troisième volume du Roi démon Piccolo vient tout juste de sortir et un quatrième est annoncé pour le 19 novembre. (Dragon Ball Full Color, Le Roi démon Piccolo, tome 3, d’Akira Toriyama. Glénat. 14,95€ le volume)

Neuf mois, neuf petits mois et la Terre ne sera plus qu’un vague souvenir. Les autorités viennent de l’annoncer : une météorite géante se dirige tout droit sur notre planète à plus de 200 km/heure. Aucune technologie n’étant capable de détruire ou de détourner la météorite, c’est bien l’extinction définitive de l’espèce humaine qui est annoncée. Mais pour que chacun ait la possibilité de laisser une trace de son existence, le gouvernement japonais a créé Ginga Rocket, une organisation chargée de recueillir les messages et les photos de ceux qui le souhaitent et de les envoyer dans la Voie lactée. En attendant, la vie continue comme elle peut… Que feriez-vous si votre mort était programmée ainsi ? Quel message aimeriez-vous transmettre ? C’est toute la question que soulève ce manga en 2 tomes parus simultanément. (Le Dernier écho de notre existence, de Ohtagaki et Ohta. Delcourt / Moon Light. 8,50€ le volume)

Vous êtes un inconditionnel de la série Dorohedoro ? Fasciné par son univers lugubre et violent au graphisme des plus sombres ? Alors, le All-Star Guide Book est fait pour vous. Sur plus de 220 pages, l’ouvrage rassemble des fiches détaillées sur l’ensemble des personnages, des illustrations couleur inédites, des histoires exclusives signées Q-Hayashida et, puisque la gastronomie occupe une place essentielle dans le manga, une carte des délices allant des gyōzas au shizo aux tourtes aux pommes d’Asuka. (Dorohedoro All-Star Guide Book, de Q-Hayashida. Soleil Manga. 16,99€)

Abara, Blame 0, Biomega... Tsutomu Nihei s’est fait connaître au Japon et en Europe avec des récits SF sombres, désespérés, violents, oppressants, organiques, reconnaissables entre tous et récemment réédités dans une version Deluxe aux éditions Glénat. Il revient aujourd’hui avec un récit de fantasy, Tower Dungeon, graphiquement un peu moins torturé mais toujours aussi percutant et efficace. Au cœur de l’histoire, une princesse, enlevée par un nécromancien maléfique et enfermée dans la tour des dragons. Pour la libérer, la garde royale va devoir affronter quelques délicieux monstres. Le second volet vient de sortir. (Tower Dungeon, tome 2, de Tsutomu Nihei. Glénat. 7,90€)

Publié initialement en trois volumes entre 2016 et 2017, le manga Hunt fait son grand retour dans nos librairies avec une édition intégrale sublimée par une couverture inédite arborant une imposante tête de loup. Un choix tout sauf anodin, puisque l’histoire s’inspire directement du célèbre jeu de société Les Loups-Garous. On y suit Airi Nishina, une lycéenne enlevée un soir en rentrant chez elle. Enfermée avec d’autres élèves, elle est contrainte de participer à une version mortelle du jeu. À la clé : 100 millions de yens… ou la mort ! (Hunt, complete edition, de Koudo et Kawakami. Soleil Manga.19,99€)

On continue avec les rééditions et la série Rave. Dix-huit tomes attendus, neuf sont d’ores et déjà disponibles, un dixième, attendu pour novembre, une réédition en grand format et en volumes doubles, de quoi profiter pleinement du dessin de Hiro Mashima et de cette histoire à la Dragon Ball qui débute dans un monde sur le point de basculer dans les ténèbres, cinquante ans après une guerre qui a opposé les Rave, les pierres sacrées, aux Dark Bring, les pierres maléfiques et vu la victoire des Rave. Pour éviter que les Dark Bring reprennent le dessus, il faut un sauveur, ce sera Haru, un jeune garçon aux cheveux argentés plein de ressources, doté d’une épée gigantesque et toujours accompagné de Plue, un petit animal qui ressemble étrangement à un bonhomme de neige. Ensemble, ils vont lutter contre les Dark Bring et l’organisation criminelle Demon Card. La première grande série de l’auteur de Fairy Tail ! ( Rave, tome 9, de Hiro Mashima. Glénat. 14,95€ le volume)

C’est une histoire d’épicier. Mais d’épicier épicé. Du genre qui ne vend pas que des légumes. Taro Sakamoto, c’est son nom, a beau avoir un léger embonpoint, une moustache à la papa, des lunettes de myope, il est à lui seul un mythe, une légende, un ex-tueur admiré de tous ces congénères, craint par tous les gangsters. Oui, Sakamoto l’épicier avait le flingue facile avant de raccrocher, de se marier, d’avoir un enfant et de s’installer comme épicier. Une vie pépère jusqu’au jour où le jeune assassin télépathe Sin débarque dans la supérette. Vous voulez de l’action ? Alors, vous en aurez, Sakamoto Days est un concentré d’énergie au rythme de parution effréné. Le tome 18 vient de sortir. (Sakamoto Days tome 18, de Yuto Suzuki. Glénat. 7,20€)

Si vous aimez les mutants et les créatures mécaniques, vous allez être servi avec cette première œuvre de Chang Sheng (également auteur de Yan), une trilogie dont le troisième tome vient de sortir. Au cœur du récit, on suit Elisa, l’une des rares humaines rescapées de l’apocalypse, qui survit dans un Taïwan en fin de vie, aux rues délabrées, et envahi par un parasite inconnu, Baby, qui transforme les êtes humains en monstres mécaniques. L’humanité est proche de l’extinction. Elisa, elle-même, est attaquée par un mutant. Un Baby réussi à s’introduire dans sa main gauche mais elle échappe à la mort et compte bien trouver l’origine de ce parasite. Un univers futuriste des plus noirs, une héroïne attachante et forte de caractère, un graphisme limpide et dynamique… une très belle série. (Baby tome 3, de Chang Sheng. Glénat. 14,95€)

Eric Guillaud 

06 Sep

Une rentrée au galop !

Entre mythe et réalité, la bande dessinée réinvente sans cesse les horizons du Far West. Loin de se limiter aux clichés de westerns poussiéreux, elle explore aujourd’hui de multiples territoires : l’épopée des pionniers, la brutalité des conquêtes, mais aussi les destins intimes de personnages parfois tombés dans l’oubli. Ces albums récemment sortis sont là pour en témoigner…

Son mari et ses trois fils ont été massacrés par les Indiens. Sa fille, elle, a sombré dans la folie. Autant dire que Kate ne les déteste pas : elle les hait. Pourtant, c’est à elle que le commandant Lewis confie un bébé hopi, abandonné devant la porte du fort. « C’est un garçon. Ça pourra toujours te servir plus tard, non ? » lui lance-t-on. Et puis, difficile de refuser cent dollars et une vache pour le lait. Alors Kate accepte. À contrecœur, certes. Mais elle accepte. L’enfant grandit. Il devient un jeune homme. Son nom ? Dead Smile. Pourquoi ? Parce qu’il ne sourit que lorsqu’il tue froidement.

Paru en janvier dernier, le premier volet de ce diptyque affiche clairement la volonté des auteurs d’explorer la culture des Indiens Hopi, avec une histoire portée par un dessin réaliste classique, précis, dans la veine réaliste de Blueberry. (Dead Smile, Le Sacrifice des aigles tome 1, de Makyo et Sicomoro. Delcourt. 15,95€)

Le Français Thierry Gloris et le Québécois Jacques Lamontagne poursuivent leur chevauchée fantastique au cœur de l’Ouest américain avec le premier volet d’un troisième diptyque consacré aux légendes Wild Bill et Martha Jane Cannary, plus connue sous le nom de Calamity Jane. Tandis que le premier est devenu shérif de Dolores City, accédant au rang de notable, la seconde, en proie à ses démons, sombre régulièrement dans un état de dépravation avancée, au point d’être retrouvée inanimée dans l’enclos aux porcs, ce qui donne bien du fil à retordre au bon vieux Bill…

Initialement prévu comme un simple diptyque, le projet a finalement pris de l’ampleur. En mai dernier, les auteurs ont livré le cinquième volet de cette très belle série qui se distingue par un scénario solide, une approche humaine et documentée, un graphisme splendide, des ambiances sombres à souhait et des personnages aux caractères bien trempés. (Rédemption, Wild West tome 5, de Lamontagne et Gloris. Dupuis. 15,95€)

Coup sur coup, juste avant l’été, deux albums sont venus enrichir la collection La Véritable Histoire du Far West des éditions Glénat et Fayard. Après avoir évoqué les figures légendaires de Jesse James, Wild Bill Hickok, Calamity Jane ou encore la bataille de Little Big Horn, la série se penche cette fois sur deux événements majeurs qui ont nourri la légende du Far West et inspiré le septième art. C’est tout d’abord la mythique fusillade d’O.K. Corral où, en 1881, les frères Earp affrontèrent le gang Clanton – McLaury, des représentants de la loi au passé sulfureux d’un côté, de purs hors la loi de l’autre. C’est ensuite la bataille de Fort Alamo qui opposa les Texans aux troupes mexicaines. Treize jours de siège qui s’achevèrent dans le sang et la victoire des Mexicains.

Deux récits, deux styles graphiques, mais un même souci de rigueur historique, renforcé par un dossier signé Farid Ameur, docteur en histoire de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. (Fort Alamo, de Martinello, Toulhoat, Gabella et Ameur. Glénat / Fayard. 14,95€ – Ok Corral, de Morvan, Tcherkézian, Scietronc et Ameur. Glénat / Fayard. 14,95€)

1754, du côté de la vallée de l’Ohio. C’est là, le long de cette voie fluviale menant au stratégique Mississippi, que se jouera l’avenir de la Nouvelle-France. La guerre de Sept Ans, qui éclatera deux ans plus tard et opposera les royaumes de Grande-Bretagne et de France, aboutira en 1763 à la cession des territoires français à la couronne d’Angleterre. Pour l’heure, la vallée de l’Ohio, convoitée par les deux camps pour son rôle primordial dans le commerce de la fourrure, n’est le théâtre que d’escarmouches, sous le regard d’Européens et de peuples autochtones avant tout préoccupés par la survie de leur famille et de leur tribu.

Parmi eux — et c’est là que la fiction rejoint la réalité dans cette trilogie signée Fred Duval au scénario et Brada au dessin — on retrouve Jacques de la Salle, ancien pirate reconverti en trappeur, et Loup Blanc, un Iroquois de la nation Mohawk dont on découvre, et c’est tout l’intérêt de ce récit, la culture et notamment la place essentielle occupée par les femmes.

Période maintes fois abordée au cinéma comme en littérature, Ohio La Belle rivière en offre un regard différent porté par un dessinateur dont le trait réaliste capte autant la beauté des paysages que la violence des hommes et un scénariste dont l’humanisme est le principal moteur ! ( Ohio La Belle rivière, Livre 2, de Duval et Brada. Delcourt. 15,50€)

Eric Guillaud

17 Août

Bulles d’histoire : quand la bande dessinée ravive la mémoire

Rien de tel que l’été pour se replonger dans notre passé, prendre le temps de comprendre et, peut-être, éviter de reproduire les mêmes erreurs. L’Histoire demeure, et demeurera longtemps, la matière première des auteurs : une source d’inspiration inépuisable et un voyage sans fin pour les lecteurs, qu’elle soit explorée sous l’angle documentaire ou romanesque

On commence avec un titre paru en janvier 2025 dans la collection Prix Albert Londres des éditions Dupuis, une collection dont nous vous avions déjà parlé il y a quelques mois, lors de la sortie de l’album Sur le front de Corée signé Marchetti, Ortiz et Turenne. Le principe reste le même : adapter en bande dessinée le récit d’un lauréat du prestigieux Prix Albert Londres autour d’un événement marquant de notre histoire. Cette fois-ci, il est question de la Shoah et plus précisément des mémoires de la Shoah, un récit basé sur cinq articles réalisés au moment du cinquantenaire de la libération des camps d’extermination par la journaliste Annick Cojean. Témoins directs ou indirects, car oui, le traumatisme se transmet de parents à enfants, tous témoignent de l’horreur de l’holocauste. Une BD qui remplit parfaitement son rôle de transmission en cette année 2025 marquée par les 80 ans de la libération des camps. (Les mémoires de la Shoah, de Rojzman, Cojean et Baudouin. Dupuis. 25€)

On continue dans le même registre avec Les enfants de Buchenwald paru aux éditions Steinkis. Le même registre mais en mode fiction. Les auteurs, Dominique Missika et Anaïs Depommier, racontent ici une histoire méconnue, celle des 426 enfants pris en charge par l’Œuvre de Secours aux enfants, l’OSE, à la libération du camp de Buchenwald. Au milieu des opposants au nazisme, des homosexuels, des Témoins de Jéhovah et bien évidemment des Juifs, les Américains découvrent à leur arrivée 1000 enfants, la majorité orphelins, sans famille à rejoindre, sans foyer à retrouver. Le temps d’un été, l’OSE, en accueille un peu plus de 400 en Normandie où ils seront soignés avant de reprendre le cours de la vie. Parfaitement documenté et basé sur les témoignages de rescapés, les autrices ont toutefois fait le choix de la fiction pour ce récit afin de restituer plus facilement « les parcours chaotiques qui ont été les leurs ». Un dossier d’une dizaine de pages complète judicieusement cet album. (Les enfants de Buchenwald, de Missika et Depommier. Steinkis. 22€)

La Shoah, toujours. Des enfants, encore. Mais un autre camp, celui de Vénissieux, près de Lyon. Nous sommes en août 1942, quelques jours après la rafle du Vel’ d’Hiv, le gouvernement de Vichy, dans un énième élan de soumission à l’occupant nazi, envisage une nouvelle rafle, dans la zone libre cette fois. Parmi les Juifs raflés et rassemblés à Vénissieux figurent de nombreux enfants. Dans l’album Vous n’aurez pas les enfants, dont le titre est emprunté à un tract de la Résistance, Arnaud le Gouëfflec et Olivier Balez retracent l’extraordinaire chaine de solidarité qui s’est organisée pour sauver ces enfants. Fidèle adaptation du livre éponyme de l’historienne Valérie Portheret, fruit de 25 années de recherches, l’album participe à son tour à la transmission de la mémoire et rend hommage au courage et à l’humanité qui, même dans les heures les plus sombres de notre histoire, parviennent encore à s’exprimer. (Vous n’aurez pas les enfants, d’Arnaud le Gouëfflec et olivier Balez. Glénat. 24€)

Il est mort assez bêtement, en décembre 1945, des suites d’un banal accident de la circulation. Pourtant, son nom reste à jamais indissociable d’un moment exceptionnel de l’histoire : la Libération. De la Tunisie à l’Allemagne, en passant par la Sicile, la Normandie et les Ardennes, le général américain quatre étoiles Patton a marqué chaque étape de cette épopée militaire par son franc-parler, son audace stratégique et une énergie folle qui galvanisait les troupes. Le récit de Pécan au scénario, Faina et Salvatori au dessin et Romanazzi aux couleurs, porte sur la dernière année de Patton et notamment sur son rôle dans la fameuse bataille des Ardennes qui marqua un tournant dans la guerre. Un dossier biographique d’une dizaine de pages accompagne ce récit. (Les Maîtres de guerre, Patton, de Pécau, Faina, Salvatori et Romanazzi. Delcourt. 16,50€)

Une autre figure marquante de la Seconde Guerre mondiale, mais pas franchement héroïque, celle-ci : Benito Mussolini, « El Duce ». Chef du fascisme italien, il entraîna son pays dans la spirale de la guerre en s’alliant à l’Allemagne nazie. Ce récit biographique retrace ses derniers instants, depuis sa fuite vers les bords du lac de Côme, où il espère bien former un réduit fortifié avec ses derniers sympathisants jusqu’à sa mort, fusillé sur ordre de la Résistance. Son corps, ainsi que celui de sa maîtresse, sera pendu par les pieds sur une place de Milan. Par une série de flashbacks, le livre revient sur tous les instants qui ont marqué sa vie publique et privée. Côté graphisme, on retrouve avec bonheur la griffe de Christophe Girard qui a remporté en 2023 le Prix du Livre d’histoire contemporaine pour Le matin de Sarajevo. (La Dernière nuit de Mussolini, de Chapuzet et Girard. Glénat. 21,50€)

D’une guerre à l’autre, Serge Fino propose avec la trilogie Jules Matrat une superbe adaptation du roman éponyme de Charles Exbrayat, paru en 1942. Elle raconte l’histoire d’un jeune paysan de Haute-Loire, envoyé à la guerre malgré lui, et revenu profondément marqué par quatre années passées dans les tranchées. Fidèle au roman, la bande dessinée s’attarde bien davantage sur le difficile retour à la vie quotidienne du protagoniste que sur l’horreur de la vie quotidienne au front. « Tu sais plus vivre », lui dit son père lors d’une permission. Et de fait, le Jules Matrat qui revient à la fin de la guerre n’est plus le même. La boue, les canons, la peur, le sang, la mort, l’ont profondément changé, au point que ses proches, sa promise, ses amis, ne le reconnaissent plus. Les deux premiers volets sont d’ores et déjà disponibles, le troisième est annoncé pour la rentrée. Un personnage fort, un destin tragique, des planches de toute beauté… Serge Fino s’impose comme l’un des grands auteurs à suivre. (Jules Matrat, de Serge Fino. Glénat. 15,50€)

Ce qui devait être, au départ, un simple triptyque s’est mué, grâce au succès du premier volet, en une saga de près de dix albums, fruit d’un quart de siècle de travail pour ses auteurs, Jean-Michel Beuriot au dessin et Philippe Richelle au scénario.
Dans un contexte historique minutieusement documenté et porté par des décors magnifiquement reconstitués, Amours fragiles nous entraîne dans une histoire d’amour qui prend racine dans l’Allemagne des années 1930, celles de la crise économique, de la montée du nazisme et d’une guerre annoncée. Martin Mahner, le héros de la saga, épris de liberté et de romantisme, y traverse ses années de jeunesse, partagé entre un père sympathisant des SS et ses amitiés juives, notamment la jeune Katarina dont il tombe amoureux. Enrôlé bien malgré lui dans l’armée nazie, Martin n’aura de cesse de chercher à la protéger jusqu’à la chute d’Hitler, en 1945. Une grande fresque romanesque, aujourd’hui réunie en intégrale chez Casterman. (Amours fragiles Intégrale 1, de Beuriot et Richelle. Casterman. 32€)

Changement d’époque avec un épisode important de l’histoire des luttes sociales et féministes du XIXe siècle. Un épisode important et pourtant oublié. Nous sommes en 1869, à Lyon. Les ovalises, comme on appelle alors les ouvrières des filatures de soie, connaissent des conditions de travail effroyables. Des journées de 12 heures ou plus, avec interdiction de se reposer, interdiction de bavarder, une soumission totale aux volontés du chef d’atelier à qui on reconnaît un droit de cuissage… Tout ça pour un salaire dérisoire de 1 franc et 40 sous auquel il faut soustraire la location d’un lit en dortoir et les éventuelles amendes. Débarquée d’Ardèche avec l’espoir d’une vie meilleure, Camille découvre la condition ouvrière, le mépris de classe… et la grève générale. Avec un graphisme semi-réaliste et à partir d’une solide source de documentation, Bruno Loth retrace cette grève qui dura un mois avec le soutien de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs) et fit tache d’huile sur tout le bassin lyonnais. (La Fabrique des Insurgées, de Bruno Loth. Delcourt. 20,50€)

Après Ramsès II, Clovis, Mussolini ou encore De Gaulle, la collection Ils ont fait l’histoire des éditions Glénat s’intéresse cette fois à une figure mythique de l’histoire de France et l’une des plus populaires de Bretagne, Anne de Bretagne. Pour raconter son destin, les auteurs – tous bretons – ont choisi de commencer par la fin, le mariage de Claude, sa fille, avec François d’Angoulême, le futur roi François Ier. Nous sommes le 19 mai 1514, cette union marque la fin de l’indépendance du duché de Bretagne, désormais rattaché au royaume de France. Un dénouement que la duchesse, morte quelques mois plus tôt, avait tenté d’éviter, fidèle à la promesse faite à son père. Un album remarquable, porté par la rigueur du scénario et la force du dessin ! (Anne de Bretagne, de Galic, Lemercier et L’hoër. Glénat / Fayard. 14,95€)

On clôt cette sélection avec le premier volet d’une série qui souhaite mettre en scène des hommes et des femmes aux destins brisés, rattrapés par l’éruption du Vésuve. Pompéi est, vous l’aurez compris, une œuvre de fiction solidement ancrée dans un contexte historique bien réel, dans un décor qui le fut tout autant et que les auteurs ont reconstitué en s’appuyant sur des sources historiques. L’héroïne de ce premier volet, Assa, est une esclave au service d’un notable de la ville. Elle s’éprend du fils de la maison, un musicien et artiste, qui lui propose de l’épouser, au grand courroux de son père. En représailles, Assa est vendue à un lupanar… Une immersion saisissante dans ce que fut peut-être l’atmosphère de Pompéi (Assa, Pompéi tome 1, de Grella, Miel et Pigière. Anspach. 16€)

Eric Guillaud

13 Août

Pages d’été. Love Machine ou l’amour en obsession, une BD de Jeanne Kiviger

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

L’amour. L’amour avec un grand A. Celui qu’on ne rencontre pas au détour d’une rue, quoique, celui qui bouleverse, qui élève, qui consume, celui qui nous change à jamais et qui, parfois, nous fait perdre la tête. Exactement ce que Lola n’a jamais connu. Et pile-poil ce que promet Love Machine.

« Marre de dormir dans des draps froids et tristes ? Dites au revoir au célibat pour seulement 14,99€ par mois. Souscrivez à Love Machine Premium ».

Et coup de chance, Lola a été sélectionnée parmi les 20 000 célibataires les plus désespérés de France pour tester gratuitement le programme révolutionnaire de Love Machine. Une méthode en six étapes pour trouver l’amour : inscriptions sur des sites de rencontres, virées nocturnes, remises en question existentielles…

Lola trouvera-t-elle enfin l’amour ? Réponse dans les pages de ce premier album signé par la jeune et prometteuse autrice française Jeanne Kiviger. Fraîchement diplômée de l’école Auguste Renoir, elle s’impose d’emblée avec un univers très personnel : une palette graphique colorée et résolument moderne, une mise en page dynamique, un humour délicieusement décalé, une belle galerie de personnages et, en filigrane, un regard acéré sur notre société.

Eric Guillaud

Love machine, de Jeanne Kiviger. Sarbacane. 24€

© Sarbacane / Kiviger

29 Juil

Pages d’été. Jean-Luc Cornette et Renaud Garreta prennent de la hauteur avec Le dernier vol de Dan Cooper

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Un nouvel album de Dan Cooper ? Le fameux Dan Cooper d’Albert Weinberg apparu en 1954 dans les pages du magazine Tintin ? Pas vraiment ! Ce Dan Cooper-là n’est pas un pilote de chasse mais un pirate de l’air. Et le seul lien entre les deux est ce nom que le second a peut-être choisi comme pseudo après avoir lu une aventure du premier avant de passer à l’action. 

Et quelle action ! Nous sommes le 24 novembre 1971. Dan Cooper embarque à bord d’un Boeing reliant Portland à Seattle-Tacoma aux États-Unis. Dans son costume soigné, l’homme a tout de l’homme d’affaires mais dans sa mallette se cache une bombe artisanale.

Quelques minutes après le décollage, Dan Cooper menace de la faire exploser. Il exige 200 000 dollars en liquide, ainsi que des parachutes. Le FBI obtempère, pensant qu’il prendra les commandes de l’avion après avoir parachuté l’équipage. Mais c’est lui qui sautera finalement en parachute depuis une trappe-escalier située à l’arrière de l’avion.

De lui, comme de l’argent, on ne retrouvera jamais la moindre trace. Ce détournement d’avion devient alors un mythe, gravé dans l’imaginaire collectif. De multiples films, téléfilms, romans, émissions de radio, chansons y font référence ou en sont directement inspirés. Le domaine de la bande dessinée n’est pas en reste. Le Dernier vol de Dan Cooper retrace l’affaire en s’inspirant des faits réels mais en prenant quelques libertés et un parti pris : Dan Cooper aurait trouvé refuge au Mexique.

De l’action, beaucoup d’action, portée par un découpage percutant, résolument cinématographique, et un graphisme réaliste, à la fois dynamique et expressif, qui nous plonge littéralement au cœur du récit.

Eric Guilaud

Le Dernier vol de Dan Cooper, de Cornette et Garreta. Glénat. 18,50€

© Glénat / Cornette & Garreta

25 Juil

Pages d’été. Au-delà de Neptune, une odyssée aux confins de l’univers signée Gabriele Melegari

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Les forêts verdoyantes ne sont plus qu’un vague souvenir, l’air doit dorénavant être filtré, la mer est définitivement empoisonnée. Bref, la Terre n’est plus qu’une planète morte qu’il devient urgent de quitter. Mais pour aller où ?

C’est à cette question que Léla, astronaute à bord du télescope Ulysse, pourra peut-être répondre un jour. Nous sommes le 22 octobre 2283 quelque part dans l’immensité de l’espace, la jeune femme entame sa 784e journée de mission en dictant son rapport à l’ordinateur central.

« Rapport approuvé. Y a-t-il une information supplémentaire à ajouter ? – Oui, crétin d’ordinateur, vu d’ici, Neptune est vraiment magnifique – Communication refusée. Transmission du rapport ».

Un peu froid ce crétin d’ordinateur. Mais il n’est pas programmé pour faire dans l’empathie et la sensibilité. Même si la solitude commence à lui peser, et son amie à lui manquer, Léla n’oublie pas qu’elle était volontaire pour cette mission. Elle assume mais ça risque d’être un long, un très long voyage, seulement rythmé par ses rapports et ses sauts en immersion virtuelle…

Les éditions Steinkis inaugurent leur nouveau label Aux Confins avec cet album, le premier signé par l’Italien Gabriele Melegari. Au-delà de Neptune est un récit de science-fiction dans la veine de 2001, l’Odyssée de l’espace, né d’une photographie emblématique, celle du premier trou noir prise par le télescope Event Horizon et rendue publique en 2019.

Graphiquement, l’auteur a privilégié l’usage de la gouache, ce qui apporte une belle profondeur à ce voyage spatial et de splendides illustrations de l’univers. Un récit onirique, intimiste et poétique.

Eric Guillaud

Au-delà de Neptune, de Gabrielle Melegari. Steinkis (Aux Confins). 24€

© Steinkis – Aux Confins / Melegari

20 Juil

Pages d’été. Le retour de Raghnarok ou le dragon tout feu tout flamme de Boulet

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

Un petit dragon vert écarlate au nez de cochon, juché sur un sanglier nommé Casse-Croûte. Il faut une bonne dose d’imagination pour inventer une scène pareille. Mais Gilles Roussel, alias Boulet, n’en a jamais manqué.

Auteur d’une cinquantaine de bandes dessinées et de livres d’illustrations, Boulet fait ses débuts dans le milieu avec Raghnarok, qui n’est autre que le nom de ce dragon haut en couleur. Le premier tome paraît en 2001, suivi de cinq autres jusqu’en 2009. La série commence avec des gags en une page, avant de s’aventurer vers des récits plus développés.

Depuis longtemps indisponibles, les six albums de Raghnarok sont aujourd’hui réédités dans une belle édition intégrale en trois volumes, augmentée d’un récit inédit, In Girum Imus Nocte.

L’occasion inespérée de retrouver notre adorable personnage et de replonger dans l’univers tendrement loufoque que Boulet a forgé pendant une décennie. 450 pages de bonheur, d’humour et d’action au pays des dragons, des fées, et monstres en tout genre avec, pour cette ultime aventure, une atmosphère un peu plus sombre. Au coeur de la forêt, un être maléfique enlève des enfants. Même pas peur, Raghnarok entend bien tout faire pour le démasquer. À croquer !

Eric Guillaud

Raghnarok, de Boulet. Glénat. (3 volumes disponibles) 19,50€ le volume

© Glénat / Boulet

19 Juil

Pages d’été. François Ravard fou de Bretagne

C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode repos et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…


La Bretagne, ça vous gagne ? Elle a en tout cas conquis François Ravard. Normand de naissance, Dinardais d’adoption, l’homme est littéralement tombé amoureux de la région, de ses hommes, de ses plages, de ses terres, de sa pluie, de son soleil… et de son vent.

Bon vent !, justement, c’est le titre de son dernier ouvrage, un recueil d’une cinquantaine de dessins qui rendent hommage au littoral breton et aux drôles de personnages que l’on peut y croiser parfois. Comme cette joggeuse matinale accompagnée de son chien, ou cet homme qui tente de retrouver un peu de souplesse avant, comme on peut l’imaginer, d’aller se baigner ou jouer de l’épuisette, comme ce pêcheur endormi sur sa chaise, l’hameçon au sec, ces amoureux qui se bécotent sur les plages publiques ou encore ce consciencieux en chemise blanche, cravate noire, jouant du clavier sur une bouée gonflable.

Après Pas un jour sans soleil, dont on vous vantait déjà les mérites ici-même, François Ravard poursuit sa belle déclaration d’amour à la Bretagne. C’est drôle, frais, délicatement iodé, poétique à souhait, avec en filigrane un clin d’œil graphique à Sempé. À savourer sur le sable, en maillot de bain ou en ciré jaune.

Eric Guillaud

Bont vent!, de François Ravard. Glénat. 16,50€

© Glénat / Ravard