29 Nov

Sur la route de Detroit Roma : l’Amérique en CinémaScope d’Elene Usdin et Boni

Impossible d’entendre Detroit Roma sans penser à Paris, Texas, une référence sans doute loin d’être anodine. Après René.e aux bois dormants, récompensé par le Grand Prix de la Critique ACBD 2022, Elene Usdin s’associe à son fils Boni pour livrer un récit d’une intensité rare : un road trip nourri de références cinématographiques et de failles intimes, dans une Amérique bien éloignée de son mythe…

Dans la vaste et déglinguée ville de Detroit, rongée par les faillites et le chômage, rien ne prédestinait Becki et Summer à se rencontrer. Issues de milieux sociaux opposés, l’une survit dans une bicoque délabrée aux côtés d’un père malade, sujet à des crises d’hallucinations, tandis que l’autre grandit dans une villa avec piscine, auprès d’une mère, Gloria, qui, jadis fut actrice mais vit désormais retranchée dans son monde, rejouant à l’infini les mêmes rôles.

C’est l’art qui finit par les rapprocher : Becki dessine, croque les silhouettes qui l’entourent et graffe sur les murs gris de la ville, tandis que Summer fréquente les milieux underground de Detroit et réalise des films. À la mort de Gloria, les deux femmes décident de prendre la route à bord d’une vieille Ford Galaxie rose décapotable. Direction Rome — non pas en Italie, mais dans l’État de Géorgie — un patelin sans autre intérêt que d’être la ville natale de Gloria, où Becki et Summer comptent bien répandre ses cendres.

Sur la route, entre confidences et silences complices, Becki et Summer rembobinent le fil de leur existence, révélant peu à peu les blessures, les espoirs et les zones d’ombre qui les ont construites et finissent par les rapprocher.

Passant d’un style graphique à l’autre, d’une technique à une autre, et animés par la volonté de transmettre au lecteur toute la palette émotionnelle de leurs personnages, Elene Usai et Boni nous embarquent dans plus de 350 pages d’un road-trip qui se lit comme un instantané de l’Amérique de 2015, jalonné de multiples clins d’œil au cinéma, à commencer par le très judicieux format à l’italienne, qui ouvre grand l’espace et magnifie les paysages. Impressionnant !

Eric Guillaud

Detroit Roma, de Elene Usdin et Boni. Sarbacane. 35€

19 Nov

La Vie secrète des arbres : une édition luxe de la BD tirée du best-seller de Peter Wohlleben au menu de Noël

Véritable phénomène de librairie, aussi bien dans sa version livre que bande dessinée, La Vie secrète des arbres revient pour les fêtes dans une somptueuse édition luxe pour le plus grand plaisir des amoureux de la nature…

Dire de ce livre qu’il est un phénomène de librairie est une évidence tant son succès dépasse les frontières habituelles du genre et touche un lectorat d’une étonnante diversité. La Vie secrète des arbres a d’abord connu une première vie en format livre non illustré (2015), avant d’en connaître une seconde en version illustrée cette fois (2017) et une troisième sous la forme d’une adaptation en bande dessinée (2023). Avec à chaque fois le même succès auprès du public, plus d’un million d’exemplaires vendus à ce jour toutes éditions confondues !

À l’approche de Noël, Les Arènes BD ont souhaité offrir une version luxe de cette adaptation en bande dessinée, un écrin au format généreux (245 X 332), avec verni sélectif grené, embossage, tranchefile, signet et dos toilé jaune.

© Les Arènes BD / Bernard, Flao & Wohlleben

Pour le reste, rien ne change : on y découvre l’histoire de Peter Wohlleben, ingénieur forestier qui considérait les arbres comme une ressource à exploiter, jusqu’au jour où il découvre une souche étonnamment maintenue en vie par les arbres alentour. Une révélation qui l’amène à s’interroger : les arbres pourraient-ils posséder une forme d’organisation sociale aussi structurée que celle des fourmis ?

C’est à partir de ce moment-là qu’il a réellement commencé à s’intéresser aux arbres. Et à les aimer. Une passion qu’il s’attachera ensuite à transmettre dans son livre et, par délégation, par affiliation presque, dans les différentes adaptations. Et de ce côté-là, Fred Bernard et Benjamin Flao ont fait un sacré boulot : loin de se contenter d’illustrer basiquement le propos, ils l’ont enrichi de leur sensibilité, de leur poésie et d’un brin d’humour, offrant au récit une profondeur nouvelle.

© Les Arènes BD / Bernard, Flao & Wohlleben

Et de découvrir les petits et grands secrets des forêts, de leur flore et de leur faune : un monde insoupçonné où se joue, mine de rien, l’avenir de notre civilisation. Comme le rappelle Peter Wohlleben : “Protéger les arbres, c’est protéger la Terre et l’humanité tout entière.” Un livre qui ravira les amoureux de la nature et fera peut-être réfléchir ceux qui ne le sont pas encore…

Eric Guillaud

La Vie secrète des arbres, de Fred Bernard et Benjamin Lao, d’après le livre de Peter Wohlleben. Les Arènes BD. Version luxe 39€, version classique 29,90€

16 Nov

Le Jour le plus long du futur de Lucas Varela : un récit SF qui laisse sans voix

Publié initialement en 2015 aux éditions Delcourt, le récit de Lucas Varela entame une deuxième vie chez Tanibis avec une version remaniée et augmentée d’une trentaine de planches supplémentaires… et toujours pas un mot !

Pas un mot, à peine quelques onomatopées, tout passe ici par le dessin de Lucas Varela. Bienvenue à Paradiso, sous le soleil exactement. C’est ici que tout commence avec, dans le rôle du touriste de base, un extraterrestre tout bleu venu s’offrir quelques heures de repos sans doute bien méritées, installé dans un transat planté au milieu de la plage. À ses côtés, son enfant, ou son animal de compagnie, une petite boule, elle aussi bleue, avec une poignée. C’est pratique pour le transport !

Et il a bien raison de se reposer, notre extraterrestre. Car à peine les deux ou trois premières pages passées, le voilà embarqué dans une histoire de dingues, dans un monde de dingues, où deux géants de l’industrie agroalimentaire s’affrontent à mort pour régner en maître sur la vie de chacun. Et lorsque l’un d’eux met la main sur la mystérieuse valise de l’Alien, il détient soudain une arme redoutable, capable de provoquer une véritable destruction massive. Autant dire que le chaos s’annonce mémorable…

Dans un style rétrofuturiste, l’Argentin Lucas Varela dépeint ici une société dystopique à souhait, sombre et sans pitié, où tout est sous contrôle, jusqu’aux individus eux-mêmes, broyés par un système qui ne laisse plus la moindre place à l’amour et à la liberté.

Eric Guillaud 

Le Jour le plus long du futur, de Lucas Varela. Tanibis. 25€

© Tanibis / Varela

11 Nov

L’Amour et la vermine : un recueil de dessins publiés dans le New Yorker signés Will McPhail

Il ne lui aura fallu qu’un seul livre pour s’imposer dans le vaste monde du neuvième art. Au-dedans, paru en janvier 2024, a été unanimement salué par la critique comme par le public, raflant au passage plusieurs distinctions prestigieuses, dont le Prix BD Fnac France Inter 2025. Will McPhail revient aujourd’hui avec L’Amour et la Vermine, un recueil d’illustrations publiées dans The New Yorker. Rien de moins que la confirmation d’un talent singulier.

Lorsque son premier album a débarqué dans nos librairies préférées en janvier 2024, il faut bien avouer qu’on ne connaissait pas grand-chose du bonhomme, si ce n’est qu’il œuvrait depuis plusieurs années pour le prestigieux New Yorker.

Mais peu importait l’homme : ce qui comptait sur le moment, c’était son livre, Au-dedans, qui, rien que par son titre et sa couverture, éveillait déjà notre curiosité.
Mais que pouvait bien raconter Au-dedans ? Une aventure intérieure — ou plus précisément, une aventure vers l’intérieur. La petite porte dessinée sur la couverture ouvrait la voie à cet espace intime. Et tout au long de l’ouvrage, une question revenait, obsédante : comment relier les intérieurs entre eux ? Autrement dit, comment connecter les êtres humains les uns aux autres ?

© 404 Graphic / Will McPhail

Avec Au-dedans, l’année 2024 démarrait fort pour tous les amoureux du neuvième art et pour Will McPhail surtout, qui allait récolter les éloges de la presse, du public et des professionnels de la bande dessinée. Plusieurs milliers d’exemplaires vendus et une poignée de récompenses plus tard, l’auteur anglais revient avec une nouvelle pépite, L’Amour et la Vermine, un recueil rassemblant quelque 250 de ses illustrations parues dans The New Yorker.

On y retrouve ce style qui nous avait séduits dès les premières pages d’Au-dedans : un trait réaliste d’une grande précision, des personnages aux yeux écarquillés, un dessin épuré, un humour d’une finesse rare, un sens aigu de l’observation et un regard d’une lucidité saisissante sur notre monde.

Eric Guillaud

L’Amour et la vermine, de Will McPhail. 404 Graphic. 35€

© 404 Graphic / Will McPhail

07 Nov

« Je cherchais le fils et j’ai trouvé le père » : le scénariste Philippe Pelaez accompagné de Bernard Khattou au dessin remonte aux origines des Kennedy

Sur près de 500 pages, Philippe Pelaez et Bernard Khattou remontent le fil d’une destinée hors norme, celle d’une famille dont les rêves de gloire se sont souvent heurtés à la fatalité. Kennedy(s), une épopée graphique où l’Histoire croise la légende.

« Je cherchais le fils et j’ai trouvé le père » : ainsi débute la postface de Philippe Pelaez en ouverture d’un dossier très complet accompagnant le récit en bande dessinée. Il cherchait le fils, John Fitzgerald Kennedy, pour en raconter l’ascension et la fin tragique que nous connaissons tous, son assassinat à Dallas en 1963.

Mais en rassemblant sa documentation, le scénariste a vu émerger une autre figure tout aussi incontournable, celle du père, Patrick Joseph Kennedy. Un homme né sur le sol américain de parents irlandais ayant fui la famine qui ravageait leur pays, et qui allait, par son ambition démesurée, jeter les bases d’une dynastie aussi puissante que tourmentée.

© Glénat / Pelaez & Khattou

Sur près de 500 pages en noir et blanc, Kennedy(s) — avec ce s qui souligne d’emblée la dimension plurielle du récit — retrace l’histoire d’une famille hors norme, entre réussites éclatantes et tragédies successives.

L’histoire commence quelque part sur les quais de Boston en 1849 avec l’arrivée en Amérique de Patrick Joseph Kennedy et s’étend jusque dans les années 1960 avec la mort du petit-fils, président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy, assassiné lors d’un déplacement à Boston, un siècle d’une histoire familiale qui a toujours flirté avec la mort, un siècle de l’histoire d’une nation et au-delà un siècle de l’histoire du monde contemporain. 

© Glénat / Pelaez & Khattou

S’appuyant sur une documentation phénoménale, dont témoigne l’imposante bibliographie en fin d’ouvrage, Philippe Pelaez cherche à éclairer l’origine du mythe Kennedy, précisément là où se nichent sans doute les explications de la tragédie de Dallas. Graphiquement, Bernard Khattou, dont on a déjà pu mesurer le talent dans Bikini Atoll ou Sunlight, enchaine les pages avec un trait réaliste alliant précision et sens du détail, embarquant littéralement le lecteur au cœur de l’histoire.

Eric Guillaud

Kennedy(s), de Pelaez et Khattou. Glénat. 38€

Lucky Luke, une figure iconique de la BD remise en selle par Brüno et Appollo

Près de quatre-vingts ans après sa création, Lucky Luke continue de faire rêver et d’inspirer. Le dessinateur nantais Brüno et le scénariste réunionnais Appollo revisitent le mythe du cow-boy solitaire dans Dakota 1880, un hommage à la fois respectueux et audacieux au héros de Morris et Goscinny. Rencontre…

© Photo : France 3 Pays de la Loire / Eric Guillaud – Illustration : Dargaud / Lucky Comics

La suite ici

05 Nov

Wonder Woman et Harley Quinn, deux stars de DC Comics face au mouvement #MeToo

Un crossover (rencontre entre deux univers) comme les affectionnent particulièrement les comics qui permet non seulement de se faire croiser à nouveau deux des plus singulières héroïnes de DC Comics mais aussi d’aborder des sujets sociétaux d’actualité, notamment le patriarcat et les relations toxiques.

Cela fait bien longtemps que malgré leur étiquette ‘100% made in USA’ les comics – sous-entendu les histoires de super-héros – ne sont plus l’apanage des seuls artistes américains. Mais dans le cas de cette nouvelle collection de l’écurie DC Comics, initiée par son distributeur français et baptisée DC créations, c’est même carrément le pitch de départ. En gros, on remet les clefs du camion à des Européens et on les laisse s’amuser comme ils le veulent avec ce gros joujou, quitte à le redéfinir presque complètement.

Ici on retrouve un dessinateur espagnol et, cocorico, un scénariste français à la manœuvre, Miki Montlló et Sylvain Rundberg. Deux hommes donc mais pour une histoire très… Féministe, où les rares rôles tenus par des représentants du sexe dit ‘fort’ sont, soit anecdotiques (Batman et Robin pointent rapidement le bout de leur nez le temps de quatre pages), soit avant tout là pour illustrer une relation toxique (le Joker). Un choix artistique fort qui nécessitait deux fortes têtes d’affiche.

© Urban Comics / Miki Montlló et Sylvain Rundberg

Or, on pourrait croire que la star ici avant tout est Wonder Woman, surtout que l’essentiel de l’action se passe sur son lieu de naissance, l’île de Themyscira peuplée par des Amazones et interdite, justement, aux hommes.

Mais c’est sur ces rivages qu’échoue Harley Quinn, l’ancienne psy du Joker devenue sa partenaire fantasque mais aujourd’hui brisée par des années d’abus. Comment ces deux-là vont créer un lien et permettre à la seconde de se reconstruire, voilà le véritable cœur de cette histoire. Moins, soyons honnêtes, les agissements de la sorcière Circé qui manigance ici pour prendre le contrôle de Themyscira. Toute bonne histoire de super-héros, ou en l’occurrence de super-héroïnes, a besoin d’une super-méchante, mais ici le tout apparaît plus comme une figure de style obligatoire qu’un véritable apport au récit.

© Urban Comics / Miki Montlló et Sylvain Rundberg

Justement, tout l’intérêt de La Souffrance Et Le Don réside dans sa façon d’aborder des thématiques plus adultes, notamment celle de la maternité ou de la sororité, tout en dosant comme il se doit avec de l’action et des rebondissements pour garder le public en haleine. Surtout que le style graphique de Montlló, parfois proche de celui d’un manga, ancre le récit dans un style moderne et dynamique.

Une première tentative certes imparfaite mais pleine de promesses d’offrir un autre regard sur certains totems de l’écurie DC.

Olivier Badin

Wonder Woman & Harley Quinn, la souffrance et le don de . 20,50 €