Autre série tirée des prestigieuses pages du magazine de bande dessinée anglais culte 2000 AD, Rogue Trooper a enfin droit à une première traduction française, sans que son propos violemment antimilitariste n’en perde une miette…
Un paysage désolé et défiguré par les cratères et les impacts d’obus. Deux camps se faisant face sans trop savoir ce qu’ils font là, à part tuer à tout prix l’autre. Avec pour seul horizon : la mort, la folie ou l’oubli. Un champ de bataille universel en quelque sorte, aussi insensé que cruel. Et le théâtre de Rogue Trooper – Les Vallées d’Albion, soit le premier portage en France à notre connaissance d’une série sortie des pages de cette pépinière de talents qu’a toujours été le magazine anglais 2000 AD. Une pépinière dont l’éditeur français Delirium n’a de cesse de réhabiliter l’héritage culturel depuis quelques années, dont celui de sa star, le trop souvent mal-compris mais ô combien subversif Judge Dredd.
L’affiliation est d’autant plus pertinente ici que l’on retrouve ici l’une des caractéristiques du juge, cette starification si l’on peut dire d’un personnage central ultra-bourrin. Sauf qu’ici, cela prend la forme d’un soldat au look de GI devenu surhomme génétiquement modifié et accompagné par ses anciens camarades tombés au combat, ou plutôt leurs esprits, transférés sur une puce (!) informatique. Un übermensch volontairement outrancier par sa froideur et son côté calculateur, entièrement tourné vers l’art de la guerre. Un être XXL, volontairement à la limite de la caricature pour mieux souligner l’absurdité de cette tuerie sans fin.
Le décor ? Nu Earth, terre désolée et ravagée par une guerre éternelle dans un futur plus ou moins proche (ce n’est pas précisé) où deux factions rivales n’ont de cesse de s’entretuer. Un trou noir y projette malgré eux une petite troupe de soldats britanniques engagés à la base dans la Première Guerre mondiale. Mais d’un conflit à un autre, l’horreur est la même et l’homme, sans pitié pour son prochain.
Publiée à l’origine sous forme d’épisodes de six pages, Les Vallées D’Albion est une histoire indépendante et l’un des nombreux avatars de cette série aux nombreuses ramifications, créée, à la base, en 1981. Malgré son rythme assez haché dû à son format feuilleton, elle en est assez représentative, notamment grâce au scénario de Garth Ennis, connu aujourd’hui surtout pour ses séries Preacher et The Boys mais qui s’est fait la main sur Judge Dredd au début des années 90.
L’action a beau y être omniprésente, ce n’est jamais au détriment du propos. Appuyées par un noir et blanc au contraste marqué et malgré son ton très « space-opera », les références historiques y sont nombreuses, principalement à la Première Guerre mondiale, ironiquement appelé ‘la der des der’ par ses protagonistes, persuadés qu’ils étaient que la sauvagerie des tranchées et le nombre hallucinant de morts qui en a résulté réfrèneraient pour toujours l’envie irrépréhensible des hommes de s’entretuer.
Malgré son cahier des charges, le récit laisse de la place à chaque personnage et esquisse même un vague message humaniste, cette troupe bigarrée se retrouvant obligée à un moment de cohabiter avec un soldat allemand, le fameux ennemi tant redouté, tout en essayant de retrouver leur base. Et non, ni héroïsme, ni happy end, ni nobles sentiments au bout du chemin. Juste l’oubli, la souffrance et ce sentiment d’absurdité absolue. La guerre, dans tout ce qu’elle a de plus nihiliste.
Olivier Badin
Rogue Trooper – Les Vallées d’Albion de Garth Ennis et Patrick Goddard. 20€. Delirium