17 Août

Bulles d’histoire : quand la bande dessinée ravive la mémoire

Rien de tel que l’été pour se replonger dans notre passé, prendre le temps de comprendre et, peut-être, éviter de reproduire les mêmes erreurs. L’Histoire demeure, et demeurera longtemps, la matière première des auteurs : une source d’inspiration inépuisable et un voyage sans fin pour les lecteurs, qu’elle soit explorée sous l’angle documentaire ou romanesque

On commence avec un titre paru en janvier 2025 dans la collection Prix Albert Londres des éditions Dupuis, une collection dont nous vous avions déjà parlé il y a quelques mois, lors de la sortie de l’album Sur le front de Corée signé Marchetti, Ortiz et Turenne. Le principe reste le même : adapter en bande dessinée le récit d’un lauréat du prestigieux Prix Albert Londres autour d’un événement marquant de notre histoire. Cette fois-ci, il est question de la Shoah et plus précisément des mémoires de la Shoah, un récit basé sur cinq articles réalisés au moment du cinquantenaire de la libération des camps d’extermination par la journaliste Annick Cojean. Témoins directs ou indirects, car oui, le traumatisme se transmet de parents à enfants, tous témoignent de l’horreur de l’holocauste. Une BD qui remplit parfaitement son rôle de transmission en cette année 2025 marquée par les 80 ans de la libération des camps. (Les mémoires de la Shoah, de Rojzman, Cojean et Baudouin. Dupuis. 25€)

On continue dans le même registre avec Les enfants de Buchenwald paru aux éditions Steinkis. Le même registre mais en mode fiction. Les auteurs, Dominique Missika et Anaïs Depommier, racontent ici une histoire méconnue, celle des 426 enfants pris en charge par l’Œuvre de Secours aux enfants, l’OSE, à la libération du camp de Buchenwald. Au milieu des opposants au nazisme, des homosexuels, des Témoins de Jéhovah et bien évidemment des Juifs, les Américains découvrent à leur arrivée 1000 enfants, la majorité orphelins, sans famille à rejoindre, sans foyer à retrouver. Le temps d’un été, l’OSE, en accueille un peu plus de 400 en Normandie où ils seront soignés avant de reprendre le cours de la vie. Parfaitement documenté et basé sur les témoignages de rescapés, les autrices ont toutefois fait le choix de la fiction pour ce récit afin de restituer plus facilement « les parcours chaotiques qui ont été les leurs ». Un dossier d’une dizaine de pages complète judicieusement cet album. (Les enfants de Buchenwald, de Missika et Depommier. Steinkis. 22€)

La Shoah, toujours. Des enfants, encore. Mais un autre camp, celui de Vénissieux, près de Lyon. Nous sommes en août 1942, quelques jours après la rafle du Vel’ d’Hiv, le gouvernement de Vichy, dans un énième élan de soumission à l’occupant nazi, envisage une nouvelle rafle, dans la zone libre cette fois. Parmi les Juifs raflés et rassemblés à Vénissieux figurent de nombreux enfants. Dans l’album Vous n’aurez pas les enfants, dont le titre est emprunté à un tract de la Résistance, Arnaud le Gouëfflec et Olivier Balez retracent l’extraordinaire chaine de solidarité qui s’est organisée pour sauver ces enfants. Fidèle adaptation du livre éponyme de l’historienne Valérie Portheret, fruit de 25 années de recherches, l’album participe à son tour à la transmission de la mémoire et rend hommage au courage et à l’humanité qui, même dans les heures les plus sombres de notre histoire, parviennent encore à s’exprimer. (Vous n’aurez pas les enfants, d’Arnaud le Gouëfflec et olivier Balez. Glénat. 24€)

Il est mort assez bêtement, en décembre 1945, des suites d’un banal accident de la circulation. Pourtant, son nom reste à jamais indissociable d’un moment exceptionnel de l’histoire : la Libération. De la Tunisie à l’Allemagne, en passant par la Sicile, la Normandie et les Ardennes, le général américain quatre étoiles Patton a marqué chaque étape de cette épopée militaire par son franc-parler, son audace stratégique et une énergie folle qui galvanisait les troupes. Le récit de Pécan au scénario, Faina et Salvatori au dessin et Romanazzi aux couleurs, porte sur la dernière année de Patton et notamment sur son rôle dans la fameuse bataille des Ardennes qui marqua un tournant dans la guerre. Un dossier biographique d’une dizaine de pages accompagne ce récit. (Les Maîtres de guerre, Patton, de Pécau, Faina, Salvatori et Romanazzi. Delcourt. 16,50€)

Une autre figure marquante de la Seconde Guerre mondiale, mais pas franchement héroïque, celle-ci : Benito Mussolini, « El Duce ». Chef du fascisme italien, il entraîna son pays dans la spirale de la guerre en s’alliant à l’Allemagne nazie. Ce récit biographique retrace ses derniers instants, depuis sa fuite vers les bords du lac de Côme, où il espère bien former un réduit fortifié avec ses derniers sympathisants jusqu’à sa mort, fusillé sur ordre de la Résistance. Son corps, ainsi que celui de sa maîtresse, sera pendu par les pieds sur une place de Milan. Par une série de flashbacks, le livre revient sur tous les instants qui ont marqué sa vie publique et privée. Côté graphisme, on retrouve avec bonheur la griffe de Christophe Girard qui a remporté en 2023 le Prix du Livre d’histoire contemporaine pour Le matin de Sarajevo. (La Dernière nuit de Mussolini, de Chapuzet et Girard. Glénat. 21,50€)

D’une guerre à l’autre, Serge Fino propose avec la trilogie Jules Matrat une superbe adaptation du roman éponyme de Charles Exbrayat, paru en 1942. Elle raconte l’histoire d’un jeune paysan de Haute-Loire, envoyé à la guerre malgré lui, et revenu profondément marqué par quatre années passées dans les tranchées. Fidèle au roman, la bande dessinée s’attarde bien davantage sur le difficile retour à la vie quotidienne du protagoniste que sur l’horreur de la vie quotidienne au front. « Tu sais plus vivre », lui dit son père lors d’une permission. Et de fait, le Jules Matrat qui revient à la fin de la guerre n’est plus le même. La boue, les canons, la peur, le sang, la mort, l’ont profondément changé, au point que ses proches, sa promise, ses amis, ne le reconnaissent plus. Les deux premiers volets sont d’ores et déjà disponibles, le troisième est annoncé pour la rentrée. Un personnage fort, un destin tragique, des planches de toute beauté… Serge Fino s’impose comme l’un des grands auteurs à suivre. (Jules Matrat, de Serge Fino. Glénat. 15,50€)

Ce qui devait être, au départ, un simple triptyque s’est mué, grâce au succès du premier volet, en une saga de près de dix albums, fruit d’un quart de siècle de travail pour ses auteurs, Jean-Michel Beuriot au dessin et Philippe Richelle au scénario.
Dans un contexte historique minutieusement documenté et porté par des décors magnifiquement reconstitués, Amours fragiles nous entraîne dans une histoire d’amour qui prend racine dans l’Allemagne des années 1930, celles de la crise économique, de la montée du nazisme et d’une guerre annoncée. Martin Mahner, le héros de la saga, épris de liberté et de romantisme, y traverse ses années de jeunesse, partagé entre un père sympathisant des SS et ses amitiés juives, notamment la jeune Katarina dont il tombe amoureux. Enrôlé bien malgré lui dans l’armée nazie, Martin n’aura de cesse de chercher à la protéger jusqu’à la chute d’Hitler, en 1945. Une grande fresque romanesque, aujourd’hui réunie en intégrale chez Casterman. (Amours fragiles Intégrale 1, de Beuriot et Richelle. Casterman. 32€)

Changement d’époque avec un épisode important de l’histoire des luttes sociales et féministes du XIXe siècle. Un épisode important et pourtant oublié. Nous sommes en 1869, à Lyon. Les ovalises, comme on appelle alors les ouvrières des filatures de soie, connaissent des conditions de travail effroyables. Des journées de 12 heures ou plus, avec interdiction de se reposer, interdiction de bavarder, une soumission totale aux volontés du chef d’atelier à qui on reconnaît un droit de cuissage… Tout ça pour un salaire dérisoire de 1 franc et 40 sous auquel il faut soustraire la location d’un lit en dortoir et les éventuelles amendes. Débarquée d’Ardèche avec l’espoir d’une vie meilleure, Camille découvre la condition ouvrière, le mépris de classe… et la grève générale. Avec un graphisme semi-réaliste et à partir d’une solide source de documentation, Bruno Loth retrace cette grève qui dura un mois avec le soutien de l’AIT (Association Internationale des Travailleurs) et fit tache d’huile sur tout le bassin lyonnais. (La Fabrique des Insurgées, de Bruno Loth. Delcourt. 20,50€)

Après Ramsès II, Clovis, Mussolini ou encore De Gaulle, la collection Ils ont fait l’histoire des éditions Glénat s’intéresse cette fois à une figure mythique de l’histoire de France et l’une des plus populaires de Bretagne, Anne de Bretagne. Pour raconter son destin, les auteurs – tous bretons – ont choisi de commencer par la fin, le mariage de Claude, sa fille, avec François d’Angoulême, le futur roi François Ier. Nous sommes le 19 mai 1514, cette union marque la fin de l’indépendance du duché de Bretagne, désormais rattaché au royaume de France. Un dénouement que la duchesse, morte quelques mois plus tôt, avait tenté d’éviter, fidèle à la promesse faite à son père. Un album remarquable, porté par la rigueur du scénario et la force du dessin ! (Anne de Bretagne, de Galic, Lemercier et L’hoër. Glénat / Fayard. 14,95€)

On clôt cette sélection avec le premier volet d’une série qui souhaite mettre en scène des hommes et des femmes aux destins brisés, rattrapés par l’éruption du Vésuve. Pompéi est, vous l’aurez compris, une œuvre de fiction solidement ancrée dans un contexte historique bien réel, dans un décor qui le fut tout autant et que les auteurs ont reconstitué en s’appuyant sur des sources historiques. L’héroïne de ce premier volet, Assa, est une esclave au service d’un notable de la ville. Elle s’éprend du fils de la maison, un musicien et artiste, qui lui propose de l’épouser, au grand courroux de son père. En représailles, Assa est vendue à un lupanar… Une immersion saisissante dans ce que fut peut-être l’atmosphère de Pompéi (Assa, Pompéi tome 1, de Grella, Miel et Pigière. Anspach. 16€)

Eric Guillaud