20 Mar

Death Mountains, de Daniel Brecht et Christophe Bec chez Casterman : un épisode tragique de la conquête de l’Ouest

C’est l’un des épisodes les plus tragiques et les plus macabres de la conquête de l’Ouest que nous racontent Daniel Brecht et Christophe Bec dans ce dytique intitulé Death Mountains. Un épisode que tous les Américains connaissent encore aujourd’hui sous le nom de la Donner party, l’expédition Donner. A l’origine, il y a ce rêve pour nombre d’Américains à l’époque de rejoindre les rivages du pacifique. Le rêve américain dans toute sa splendeur. La Californie. Le cauchemar aussi ! Nous sommes en juin 1846 du côté de Fort Laramie. Les pluies du printemps ont transformé la terre en un  immense bourbier dans lequel s’enfoncent les roues des chariots. Malgré tout, malgré la pluie, malgré le danger, les dangers, un groupe de 87 personnes décide de partir à la conquête de l’Ouest. Des centaines de miles à parcourir sur des chemins incertains, trois chaînes montagneuses et des déserts à traverser… l’expédition tente un raccourci et l’histoire tourne à la tragédie !

Pour raconter cette expédition, les auteurs ont opté pour un flash back et eu recours à une narratrice, Mary Graves dite Mary la cannibale. « Mary est un personnage très romanesque… », explique le scénariste Christophe Bec, « Elle était moderne pour l’époque, c’était même une féministe avant l’heure. Raconter mon histoire au travers de son témoignage, un peu comme Arthur Penn l’avait fait dans le film Little Big Man s’est imposé ». Un récit complet en deux tomes, simultanément publiés, aussi effrayant que captivant ! A noter la magnifique et efficace mise en images de Daniel Brecht qui signe ici son premier album. EGuillaud

Death Mountains, de Daniel Brecht et Christophe Bec. Editions Casterman. 12,95 euros le volume


17 Mar

« Au Vent mauvais », un album de Rascal et Thierry Murat aux éditions Futuropolis

Des fringues sans âge sur le dos, un sac Tati pour tout bagage, Abel Mérian ressemble à tous ces taulards qui sortent de prison et doivent reprendre le cours de la vie. A la différence près qu’Abel Mérian ne va pas rester longtemps dans ce costume de sans abri. Un petit pécule l’attend bien planqué au fond d’une vielle usine désaffectée. Sauf que pendant son emprisonnement, le quartier est passé entre les mains de quelques promoteurs immobiliers peu regardants sur les trésors enfouis. L’usine désaffectée est devenue un centre d’art contemporain. Plus de magot… mais un téléphone portable trouvé sur le sol. Celui d’une jeune femme, une Italienne. Abel Mérian décide de lui ramener en mains propres…

Aucun doute, il y a du Verlaine dans cet album et pas seulement dans le titre. Dès la première page, Au Vent mauvais nous enveloppe de sa douce mélancolie. Rascal, auteur remarqué dans le livre jeunesse, développe sur plus de 100 pages un road comics psychologique autour d’un personnage à la fois désabusé et bien décidé à entamer une nouvelle vie. Peu de textes, essentiellement une voix off, une mise en images de Thierry Murat minimaliste, des couleurs ternes, trois ou quatre cases par planche et un dénouement inattendu… Au Vent mauvais est une petite merveille qui se lit et se relit sans fin. Comme un poème ! EGuillaud

Au Vent mauvais, de Rascal et Thierry Murat. Editions Futuropolis. 18 euros

Bizu et La Patrouille des Castors, deux nouvelles intégrales chez Dupuis

Un personnage de petite taille coiffé d’un chapeau orange évoluant dans un monde féérique avec un champignon comme animal de compagnie : voici Bizu messieurs et mesdames. Bizu est né en 1967 dans les pages de Spirou. L’imagination n’est pas encore au pouvoir ni dans la rue mais Jean-Claude Fournier devance l’appel en créant ici un univers merveilleux fortement imprégné de sa Bretagne natale chérie. Même s’il est né par accident à Paris ! Il n’a que 24 ans au moment de la publication des premières planches. C’est un succès ! Et moins d’un an plus tard, les éditions Dupuis lui confient les aventures de Spirou et Fantasio que Franquin ne souhaite plus animer. Un travail énorme pour le jeune auteur breton qui continuera malgré tout à dessiner Bizu dans sa forêt de Brocéliande, pardon Frotéliande. Ce premier volume de l’Intégrale Bizu réunit tous les récits publiés dans le journal Spirou entre 1967 et 1986. En route pour la fantaisie…

Beaucoup moins fantaisiste, le quatrième volet de l’intégrale consacrée aux aventures de la célèbre Patrouille des Castors nous ramène à la dure réalité. Imaginés en 1954 par Jean-Michel Charlier et Mitacq, nos jeunes amis scouts sont confrontés dans le diptyque La Couronne cachée et Le Chaudron du diable, publié en 1964 et 1965, et réuni dans ce volume, aux lourdes menaces que font peser les pays de l’Est sur le monde occidental. C’est la guerre froide et nombre de scénarios à l’époque sont imprégnés de cette actualité géopolitique lourde. Les deux autres récits présentés dans l’intégrale, encore un ditpyque, nous entraînent en Iran pour une intrigue autour du fabuleux trésor du shah d’Iran. On est loin de la forêt de Brocéliande et de ses lutins… EGuillaud

.

Dans le détail :

Bizu, L’Intégrale (tome 1), de Jean-Claude Fournier. Editions Dupuis. 24 euros
La Patrouille des Castors, L’Intégrale (tome 4), de Mitacq et Charlier. Editions Dupuis. 28 euros

14 Mar

« Plogoff », une BD historico-documentaire de Delphine Le lay et Alexis Horellou chez Delcourt

Plogoff. Bien sûr, tous ceux qui connaissent un tant soit peu la Bretagne ont entendu parler de ce village. Un peu plus de 1300 habitants, une économie orientée vers la biscuiterie, la pêche, le tourisme… et une affaire, c’est comme ça qu’on l’appelle, qui va imprimer l’inconscient collectif pour de longues années. Cette affaire, c’est le projet de construction dans le milieu des années 70 d’une centrale nucléaire. C’est aussi et surtout la mobilisation populaire inédite qui se met parallèlement en place pour combattre ce projet pendant des mois, des années, jusqu’à l’élection de François Mitterrand en 1981 et son abandon définitif.

De cette période, il reste bien évidemment nombre d’histoires, de souvenirs, de témoignages, tous plus forts les uns que les autres, mais aussi un film tourné dans le feu de l’action par Nicole et Félix Le Garrec. Son titre : Plogoff, des pierres contre les fusils. 30 ans qu’ils voyagent à travers l’hexagone avec ce film. Et puis, un beau jour, un jeune couple d’auteurs débarque chez eux avec le projet de raconter l’histoire de cette mobilisation, en BD cette fois.

________________________________________

L’interview des auteurs à lire ici

________________________________________

Rencontres des différents acteurs, recueil de témoignages, recherche et accumulation d’une abondante documentation… Delphine Le Lay et Alexis Horellou, les auteurs, plongent corps et âme dans le passé de ce village de résistants gaulois. A l’arrivée, l’album tout simplement appelé Plogoff se présente comme une immersion dans la vie quotidienne de la population, une vie quotidienne bien évidemment rythmée par les manifestations, les confrontations parfois violentes avec les CRS, les barricades, les opérations coup de poing, les rondes de nuit des forces de l’ordre… Il ne manquait plus que le couvre feu pour se croire dans un pays en guerre !

D’une approche plus militante que journalistique ou historique, Plogoff est malgré tout un album remarquable. Remarquable par sa construction narrative, la mise en scène des combats, son graphisme réaliste minimaliste, son atmosphère intimiste et surtout cette entrée en résonance avec une autre affaire, plus proche de nous cette fois, le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes et le combat mené par ses opposants notamment sur la Zad. Passionnant ! EGuillaud

Plogoff, de Delphine Le Lay et Alexis Horellou. Editions Delcourt. 14,95 euros

.

05 Mar

Douce pincée de lèvres en ce matin d’été, un très beau livre signé Laurent Bonneau chez Dargaud

Comme tous les matins, Max se lève, fait son lit, sort le chat et prend son petit déjeuner. Oui comme tous les matins. A la différence prêt que sa petite amie vient de le quitter. Max est maintenant seul face à son bol de café, même si elle est toujours présente, omniprésente, dans sa pensée. Un peu plus tard, Max enfourche son vélo, direction la salle de sport. Max est entraîneur de tennis de table et prépare ses ados à une compétition très importante quelque part en Chine. Pas le moment de flancher ! Il doit faire avec, faire le deuil de la petite amie et en même temps donner le meilleur de lui-même dans son travail. Et pour dépasser ce moment difficile, Max fait confiance aux philosophies orientales, notamment au Yi…

Voici un album qui porte bien son nom. Douce pincée de lèvres en ce matin d’été est le récit subtil, délicat, poétique d’une rupture amoureuse. Laurent Bonneau dont on a déjà pu mesurer le talent graphique dans le thriller Metropolitan, également paru chez Dargaud, met en place ici un style graphique très particulier, minimaliste mais sans homogénéité, un graphisme qui colle malgré tout à l’atmosphère intimiste du récit. Douce pincée de lèvres en ce matin d’été n’est pas une histoire d’amour qui finit mal mais plus surement une histoire de rupture qui finit bien. Un travail et un auteur singuliers à découvrir au plus vite ! EGuillaud

Douce pincée de lèvres en ce matin d’été, de Laurent Bonneau. Editions Dargaud. 16,45 euros

04 Mar

9 ans après « Le Processus », Marc-Antoine Mathieu publie « Le Décalage », une nouvelle aventure de Julius Corentin Acquefacques

Imaginer un récit sans héros n’est déjà pas chose aisée. Mais imaginer un récit sans héros et sans histoire, alors là… Enfin, quand je dis sans héros et sans histoire, c’est un peu exagéré. Simplement, notre bon Julius Corentin Acquefacques qui a encore rêvé trop fort se réveille et constate que l’histoire a démarré… sans lui. Les personnages secondaires font ce qu’ils peuvent pour assurer un fond d’action mais Julius ne peut intervenir dans le récit. Il y a comme un décalage, un glissement spatio-temporel. Tandis que certains évoquent une entourloupe existentialiste, d’autres se gargarisent de l’absence d’aventure : « Parler pour en rien dire ne nous avance à rien. Improvisons ! ». Et c’est parti pour une avancée dans le rien, dans l’infiniment rien, jusqu’au moment où les protagonistes parviennent à recaler l’histoire…

Si Marc-Antoine Mathieu n’existait pas, il faudrait de toute urgence l’inventer ! Chacun de ses albums est un régal d’expérimentations narratives, une exploration sans fin des possibilités offertes par le médium. Vingt-trois ans après L’Origine, le premier volet de cette série (souvenez-vous de la case en moins), et neuf ans après Le Processus, voici donc Le Décalage. Et ce sixième opus nous réserve bien des surprises à commencer par une couverture purement et simplement remplacée par une planche du récit, la septième pour être précis. Et ne croyez pas à une astuce de l’éditeur pour faire des économies sur le nombre de pages, bien au contraire. Le décalage est à la fois virtuel, dans le récit, et bien réel, sur l’album. Mais shut ! Comme toujours, Marc-Antoine Mathieu joue sur l’effet de surprise et nous n’allons pas gâcher votre plaisir en dévoilant plus que nécessaire. Le Décalage nous plonge corps et âme dans le fantastique et l’absurde, un univers qui ne cache pas ses références à l’oeuvre de Winsor McKay, de Francis Masse ou même d’un Raymond Devos ! EGuillaud

Le Décalage, Julius Corentin Acquefacques (tome 6), de Marc-Antoine Mathieu. Editions Delcourt. 14,30 euros

28 Fév

Pacifique, un premier album étonnant signé Romain Baudy et Martin Trystram chez Casterman

Udo Grothendieck ne supporte pas l’avion. Ca le rend malade. Alors, imaginez le sur l’eau ou pire sous l’eau, dans un sous-marin. C’est pourtant bien là qu’on l’attend. Qu’on attend surtout ses compétences en matière de radio. Et le voilà un beau jour de 1945 quasi-parachuté sur le pont d’un u-boot en plein milieu du Pacifique. Visite des lieux au pas de charge, petite séance obligatoire de bizutage et direction le poste qui lui a été assigné. Mais Udo n’est pas venu seul. Avec lui un livre et qui plus-est un livre interdit par le régime nazi dont l’équipage se débarrasse immédiatement. Mais au fil des jours, d’autres exemplaires de ce livre réapparaissent jusqu’à envahir la salle des machines…

Attention talent ! Romain Baudy et Martin Trystram signent ici leur tout premier album d’une déconcertante maturité. Pacifique, très bel objet au format à l’italienne, est un petit bijou graphique et scénaristique réalisé à quatre mains. Une méthode de travail à la « Dupuy & Berberian » pour un résultat tout à fait saisissant. Dès les premières pages, ce récit de guerre nous plonge corps et âme dans une atmosphère claustrophobique à souhait qui sent l’huile de moteurs, les vapeurs d’essence et la sueur. On pense au Réducteur de vitesse de Blain, même si l’action se passait sur un cuirassé, ou au polar U-Boot de Nicolas Juncker, en moins noir et en plus poétique. Dans Pacifique, la littérature, le rêve, l’utopie, finissent par gagner la guerre. Deux auteurs et un album à découvrir de toute urgence ! EGuillaud

Pacifique, de Romain Baudy et Martin Trystram. Editions Casterman. 15 euros

26 Fév

Rencontre avec Benoît Springer, le dessinateur de la BD « Le Beau voyage » parue chez Dargaud

Allo Benoît, est-ce qu’on peut-on se voir pour les photos ? Pas de souci Eric. Il est comme ça Benoît. Pas de souci. Alors même si je traîne ce jour là une cochonnerie de grippe, j’attrape au vol mon appareil photo et rejoins au pas de course le centre ville de Nantes, ce qui aura pour effet bénéfique de faire tomber la fièvre. Bonjour bonjour… Alors on se met où ? Très bonne question. Dans le passage Pommeraye? Ah oui bonne idée. C’est parti…

Benoît que j’ai la chance de rencontrer ce jour-là est dessinateur de bande dessinée, parfois scénariste, et surtout présentement auteur de l’album « Le Beau voyage » sorti ce mois-ci aux éditions Dargaud avec l’auteur belge Zidrou au scénario.

Le Beau voyage est un récit poignant construit autour d’un de ces secrets de famille qui peuvent flinguer plusieurs générations, un récit choc qui vous prend par le colbac dès la première page pour ne jamais vous lâcher grâce à un savant égrainage de flashbacks et de révélations.  Un album qui nous parle de la vie, la vraie, mais aussi de la mort, en l’occurrence d’un être proche, du suicide, de l’absence, des remords… avec beaucoup de délicatesse et d’intelligence.

Lire la suite ici

Rencontre avec Benoît Springer, le dessinateur de la BD « Le Beau voyage » parue chez Dargaud

Allo Benoît, est-ce qu’on peut-on se voir pour les photos ? Pas de souci Eric. Il est comme ça Benoît. Pas de souci. Alors même si je traîne ce jour là une cochonnerie de grippe, j’attrape au vol mon appareil photo et rejoins au pas de course le centre ville de Nantes, ce qui aura pour effet bénéfique de faire tomber la fièvre. Bonjour bonjour… Alors on se met où ? Très bonne question. Dans le passage Pommeraye? Ah oui bonne idée. C’est parti…

Benoît que j’ai la chance de rencontrer ce jour-là est dessinateur de bande dessinée, parfois scénariste, et surtout présentement auteur de l’album « Le Beau voyage » sorti ce mois-ci aux éditions Dargaud avec l’auteur belge Zidrou au scénario.

Le Beau voyage est un récit poignant construit autour d’un de ces secrets de famille qui peuvent flinguer plusieurs générations, un récit choc qui vous prend par le colbac dès la première page pour ne jamais vous lâcher grâce à un savant égrainage de flashbacks et de révélations.  Un album qui nous parle de la vie, la vraie, mais aussi de la mort, en l’occurrence d’un être proche, du suicide, de l’absence, des remords… avec beaucoup de délicatesse et d’intelligence.

Lire la suite ici

24 Fév

Fred Duval, Jean-Pierre Pécau et Mr Fab inaugurent la nouvelle série concept de Delcourt : L’Homme de l’année

L’histoire n’est pas exclusivement écrite et vécue par les puissants de ce monde. Par la pensée, par la force, pour la bonne ou la mauvaise cause, chacun de nous, anonyme parmi les anonymes, participons aussi à l’écriture de l’histoire, de notre histoire. Et c’est justement le concept de cette nouvelle série lancée par les éditions Delcourt. « Nous évoquerons… », précise Fred Blanchard, le directeur du label Série B, « le Chemin des dames, la bataille de Waterloo, la mort de Che Guevara et celle de Jeanne d’Arc, la commune de Paris, la découverte des Amériques par Christophe Colomb et l’affaire Dreyfus… Autant d’événements où des anonymes ont laissé trace de leur présence au travers de quelques lignes dans un livre, d’un visage flou sur une photo ou d’une  silhouette à l’arrière plan d’un tableau… ».

Et pour ouvrir cette nouvelle série collective, honneur à l’un des anonymes les plus célèbres de l’histoire de France puisqu’il s’agit ni plus ni moins du soldat inconnu, lequel repose je vous le rappelle sous l’Arc de triomphe depuis plus de 90 ans. Qui peut-il bien être ? Comment est-il arrivé là ? Pour l’imaginer : une équipe de choc composée des scénaristes Fred Duval et Jean-Pierre Pécau (l’équipe de Jour J), rejoints pour l’occasion par le dessinateur Mr Fab. « L’Homme de l’année – 1917 part d’une réalité… », expliquent les scénaristes, « celle de l’emploi massif de l’Armée d’Afrique sur les champs de bataille d’Europe durant la Première guerre mondiale ». Et d’imaginer une histoire d’amitié impossible entre un tirailleur sénégalais et un officier blanc français en pleine guerre des tranchées. Un graphisme réaliste de caractère, des couleurs qui accentuent l’atmosphère de fin du monde, des scènes d’une réalisme cru, un scénario blindé et une intrigue particulièrement travaillée font de 1917 un album d’ouverture prometteur ! EGuillaud

1917, L’Homme de l’année (tome 1), de Duval Pécau et Mr Fab. Editions Delcourt. 14,95 euros.