12 Oct

Bernie Wrightson dans les magazines Eerie et Creepy, une alliance diabolique

Après ses nombreuses rééditions des œuvres maîtresses de Richard Corben et ses deux volumes consacrés à Vampirella (à quand la suite ?), l’éditeur français Delirium s’attaque ici à un autre monument de la bande dessinée underground d’horreur, Bernie Wrightson, dont il réédite un volume sorti une première fois en 2014. Et c’est toujours aussi envoûtant!

Si après des années de disette, la bande dessinée d’horreur a repris du poil de la bête dans les 70s, c’est notamment grâce à des publications désormais cultes comme Eerie et Creepy qui osaient aller plus loin que les trop timides Marvel ou DC Comics et à des dessinateurs, pardon des artistes, comme Bernie Wrightson. Malgré son physique de nerd introverti et son décès en 2017, il continue d’être pour toute une communauté comme une sorte de totem indétrônable, continuant d’exercer une influence majeure. Et lorsqu’on feuillette les pages de ce volume réunissant toutes les histoires auxquelles il a contribué ou qu’il a dessinées pour Eerie et Creepy entre 1974 et 1977, on se souvient pourquoi.

Oui, la récolte pourrait paraître un peu chiche, avec ‘seulement’ douze histoires, dont deux où il n’a réalisé que l’encrage. Mais chacune d’entre elles est un petit chef-d’œuvre d’orfèvrerie. D’ailleurs, par rapport à la première édition de 2014, en plus d’une autre couverture, cette nouvelle version contient un bonus non négligeable : le story-board et le texte complet de l’un des plus beaux récits du livre (Le Monstre De Boue), fascinante plongée dans la méthode de travail du maître qui ne négligeait aucun détail.

© Delirium / Wrightson

Ce n’est pas pour rien que Wrightson a été marqué par le film déviant Freaks de Tod Browning et travaillé pendant des années à illustrer le Frankenstein de Mary Shelley. L’homme a toujours été fasciné par le contraste entre beauté saisissante et horreur absolue. Majoritairement serties dans un noir et blanc d’une finesse incroyable (à part, justement, Le Monstre De Boue), toutes ces histoires excellent donc à faire du macabre un spectacle à la fois cruel et envoûtant. De nombreuses planches sont quasiment sans dialogue, tout juste racontées par un monologue intérieur assez concis, toutes les émotions des personnages étant dépeintes sur des visages contorsionnés baignant souvent dans un clair-obscur frappant.

© Delirium / Wrightson

À l’instar de son collègue Richard Corben, il illustre ici la célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe Le Chat Noir comme s’il l’avait écrite lui-même alors que pour la terrifiante Jenifer, scénarisée par son ami Bruce Jones qui signe également l’introduction de ce livre, il renouvelle complètement le concept de l’emprise avec une subtile perversité. Mieux : comme le prouve la galerie des nombreuses couvertures réalisées pour les deux revues et mettant en scène leurs mascottes respectives, Wrightson savait aussi faire preuve d’un humour très noir.

Bref, embelli par le travail de reproduction comme d’habitude impeccable avec cet éditeur aux goûts sûrs, voici ce que l’on appelle dans les milieux autorisés un indispensable, autant pour les fans de Bernie Wrightson que pour les fans de bandes dessinées d’horreur des années 70. Indispensable, on vous dit !

Olivier Badin

Eerie & Creepy présentent Bernie Wrightson. Delirium. 25€