22 Oct

Deryn Du, un grand frisson poétique signé Guillaume Sorel

Si son univers graphique avait surpris plus d’un à ses débuts, force est de constater que le temps n’a en rien émoussé le talent de Guillaume Sorel, qui est de retour en ce mois d’octobre avec Deryn Du, un récit à donner la chair de poule… ou de corbeau.

Le ciel est bleu, la mer est calme, et le village, blotti le long de la côte galloise entre le port et les collines, semble être gagné par la torpeur de l’été. Tout paraîtrait paisible, presque figé, s’il n’y avait pas cet attroupement sur la plage : une baleine échouée. Immense. Nauséabonde. Son corps porte les marques de morsures. Des requins ? Visiblement non. Mais alors… quoi d’autre ?

Ce drame n’est que le premier d’une longue série. En l’espace de deux semaines, plusieurs meurtres atroces ont été commis : un homme retrouvé broyé par une créature inconnue, un autre empoisonné par des araignées, et plus troublant encore, un couple piétiné dans son lit par des chevaux.

Un tueur fou ? Une force surnaturelle ? Le village s’inquiète, la police enquête… Et au cœur de cette agitation, une jeune fille aussi mystérieuse qu’insaisissable. Elle s’appelle Deryn…

© Dupuis / Sorel

Impossible de ne pas tomber sous le charme du graphisme de Guillaume Sorel qui, depuis sa première série L’Île des morts — publiée entre 1991 et 1996 aux éditions Vents d’Ouest et régulièrement rééditée en intégrale — nous transporte dans un univers à la fois envoûtant et fantastique.

Impossible de ne pas succomber au charme du graphisme de Guillaume Sorel qui, depuis sa première série L’Île des morts— publiée entre 1991 et 1996 aux éditions Vents d’Ouest et régulièrement rééditée en intégrale — nous transporte dans un univers à la fois envoûtant et fantastique.

© Dupuis / Sorel

Cette fois, l’auteur s’est lancé dans une réflexion partagée avec quelques amis du neuvième art : comment faire peur en bande dessinée ? Une vaste question, tant la peur demeure sans doute l’émotion la plus difficile à faire passer dans ce médium.

Pour y parvenir, Guillaume Sorel a joué sur les angles de vue, les cadrages, tout en rejetant les ambiances nocturnes et glauques. « Dans Deryn Du… » , explique-t-il, « c’est l’été, les blés sont mûrs, la mer est belle et calme. Il fait jour presque tout le temps. L’idée était d’amener une atmosphère étrange dans un lieu à priori pas du tout inquiétant. »

© Dupuis / Sorel

À défaut d’avoir cette peur incontrôlable que l’on peut ressentir devant un film d’horreur, le lecteur se retrouve plongé dans une ambiance inquiétante, c’est une angoisse plus subtile, plus poétique, qui s’installe au fil des pages. Somptueux !

Eric Guillaud

Deryn Du, de Guillaume Sorel. Dupuis. 25€

20 Oct

L’adaptation pleine de destins brisés du Macbeth de Shakespeare

Le pouvoir rend t-il fou ? Peut-on échapper à son destin ? Voici quelques-unes des questions soulevées par l’une des plus célèbres tragédies de William Shakespeare, adaptée ici dans un roman graphique aussi âpre et magnifique que les plaines fouettées par le vent d’Écosse qui lui servent de décor.

Shakespeare est certes rarement synonyme de gaudriole (quoique, Beaucoup De Bruit Pour Rien est une belle farce mais bref) mais Macbeth garde une place particulière dans son œuvre gargantuesque. C’est l’une de ses tragédies les plus jouées mais aussi l’une des plus sombres. Un récit cruel où comment, rongé par l’ambition et poussé par sa femme alors qu’il est tout juste auréolé d’une victoire militaire, un général commet un régicide pour s’emparer du trône d’Écosse. Un crime absolu car commis sous son propre toit et qui le fait sombrer peu à peu dans la folie, avant de lui coûter la vie.

Une pièce sur le mal qui sommeille en chacun de nous, l’obsession et le côté implacable du destin, publiée pour la première fois en 1623 et mise ici en image par deux frères jumeaux, Gaëtan et Paul Brizzi qui, après une première adaptation de L’Enfer de Dante, suivi de peu par Don Quichotte, ont décidé depuis 2022 de s’attaquer à de grands classiques de la littérature étrangère.

© Daniel Maghen / Paul et Gaëtan Brizzi

Les frères Brizzi le soulignent eux-mêmes dans l’introduction qui ouvre le livre : les plaines désolées de l’Écosse du XVIIème siècle ainsi que le lugubre et monumental château d’Inverness où se passe presque toute l’action sont quasiment des personnages à part entière de la pièce. Un décor aussi grandiose que froid qu’ils subliment d’ailleurs dans de grandes cases où l’ombre semble grignoter dès qu’elle peut la lumière et où les protagonistes semblent livrés à eux-mêmes, dans un combat perdu d’avance.

© Daniel Maghen / Paul et Gaëtan Brizzi

Le tout est serti dans un noir et blanc crayonné du plus bel effet. Difficile au passage de ne pas penser au cinéma expressionniste allemand des années 20 mais aussi à l’influence de Gustave Doré (1833-1883) – illustrateur attitré de Jules Verne mais aussi de la première édition, justement, de L’Enfer – lors du sabbat organisé par les sorcières, déguisées en sœurs du destin.

Surtout que plutôt que de se laisser emprisonnées par le texte d’origine, nombreuses sont les pages sans texte, comme pour mieux mettre en exergue le combat perdu d’avance de Macbeth contre les forces du mal et sa métamorphose en dictateur amené à être, lui, aussi déchu.

Olivier Badin

Macbeth de Paul et Gaëtan Brizzi. Daniel Maghen éditions. 25 €

12 Oct

Bernie Wrightson dans les magazines Eerie et Creepy, une alliance diabolique

Après ses nombreuses rééditions des œuvres maîtresses de Richard Corben et ses deux volumes consacrés à Vampirella (à quand la suite ?), l’éditeur français Delirium s’attaque ici à un autre monument de la bande dessinée underground d’horreur, Bernie Wrightson, dont il réédite un volume sorti une première fois en 2014. Et c’est toujours aussi envoûtant!

Si après des années de disette, la bande dessinée d’horreur a repris du poil de la bête dans les 70s, c’est notamment grâce à des publications désormais cultes comme Eerie et Creepy qui osaient aller plus loin que les trop timides Marvel ou DC Comics et à des dessinateurs, pardon des artistes, comme Bernie Wrightson. Malgré son physique de nerd introverti et son décès en 2017, il continue d’être pour toute une communauté comme une sorte de totem indétrônable, continuant d’exercer une influence majeure. Et lorsqu’on feuillette les pages de ce volume réunissant toutes les histoires auxquelles il a contribué ou qu’il a dessinées pour Eerie et Creepy entre 1974 et 1977, on se souvient pourquoi.

Oui, la récolte pourrait paraître un peu chiche, avec ‘seulement’ douze histoires, dont deux où il n’a réalisé que l’encrage. Mais chacune d’entre elles est un petit chef-d’œuvre d’orfèvrerie. D’ailleurs, par rapport à la première édition de 2014, en plus d’une autre couverture, cette nouvelle version contient un bonus non négligeable : le story-board et le texte complet de l’un des plus beaux récits du livre (Le Monstre De Boue), fascinante plongée dans la méthode de travail du maître qui ne négligeait aucun détail.

© Delirium / Wrightson

Ce n’est pas pour rien que Wrightson a été marqué par le film déviant Freaks de Tod Browning et travaillé pendant des années à illustrer le Frankenstein de Mary Shelley. L’homme a toujours été fasciné par le contraste entre beauté saisissante et horreur absolue. Majoritairement serties dans un noir et blanc d’une finesse incroyable (à part, justement, Le Monstre De Boue), toutes ces histoires excellent donc à faire du macabre un spectacle à la fois cruel et envoûtant. De nombreuses planches sont quasiment sans dialogue, tout juste racontées par un monologue intérieur assez concis, toutes les émotions des personnages étant dépeintes sur des visages contorsionnés baignant souvent dans un clair-obscur frappant.

© Delirium / Wrightson

À l’instar de son collègue Richard Corben, il illustre ici la célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe Le Chat Noir comme s’il l’avait écrite lui-même alors que pour la terrifiante Jenifer, scénarisée par son ami Bruce Jones qui signe également l’introduction de ce livre, il renouvelle complètement le concept de l’emprise avec une subtile perversité. Mieux : comme le prouve la galerie des nombreuses couvertures réalisées pour les deux revues et mettant en scène leurs mascottes respectives, Wrightson savait aussi faire preuve d’un humour très noir.

Bref, embelli par le travail de reproduction comme d’habitude impeccable avec cet éditeur aux goûts sûrs, voici ce que l’on appelle dans les milieux autorisés un indispensable, autant pour les fans de Bernie Wrightson que pour les fans de bandes dessinées d’horreur des années 70. Indispensable, on vous dit !

Olivier Badin

Eerie & Creepy présentent Bernie Wrightson. Delirium. 25€

11 Oct

De The Nice House on the Lake à Derrière la porte : James Tynion IV n’a pas fini de nous hanter

James Tynion IV, l’auteur de la série à succès The Nice House on the Lake, revient avec un nouveau récit dont le titre à lui-seul suffit à nous donner des frissons, une histoire d’épouvante à lire jusqu’au bout de la nuit…

Mais qu’est-ce qui peut bien se cacher derrière la porte du placard de sa chambre ? Un monstre ? Jamie en est persuadé. Chaque soir, il s’endort le ventre noué par l’angoisse, et chaque nuit, il se réveille en hurlant. Maudit placard ! Mais bientôt, il en sera débarrassé pour de bon. Toute la petite famille quitte New York pour Portland : un vrai changement de vie, près de 3000 miles à avaler. Thom, le père, a décidé de faire la route en voiture avec son fils, histoire de bien mesurer la distance qu’ils vont mettre entre eux et ce fichu monstre. Hélas, rien n’y fait, le monstre leur colle aux baskets. Et s’il n’y avait que ça ! Entre Thom et Maggie, sa compagne, ce n’est plus la même histoire. Et ce déménagement, censé marquer un nouveau départ, pourrait bien tout faire basculer…

The Department of Truth, The Deviant, Spectrograph, et surtout The Nice House on the Lake, qui lui a valu l’Eisner de la meilleure nouvelle série en 2022, celui du meilleur scénariste en 2023, ainsi que le Prix de la série au Festival d’Angoulême en 2024… James Tynion IV s’impose comme l’un des auteurs majeurs de la bande dessinée américaine contemporaine. Il s’associe ici au dessinateur Gavin Fullerton, dont le trait confère au récit toute sa puissance et sa dimension horrifique. Un magnifique album accompagné d’un cahier de croquis et d’une galerie de couvertures alternatives.

Eric Guillaud 

Derrière la porte, de James Tynion IV et Gavin Fullerton. Urban Comics. 20,50€

© Urban / Tynion IV & Fullerton

10 Oct

Saudade : le bel hommage de Vincent Turhan au neuvième art

Sorti en librairie début septembre, Saudade est une comédie douce-amère qui bascule joyeusement dans le polar déjanté. Un vibrant hommage au septième art, traversé par l’amour, la passion et les regrets éternels, un récit à la fois drôle, touchant et superbement maîtrisé.

La vie, ce n’est pas toujours du cinéma ! Alma et Rio en savent quelque chose. Autrefois cinéastes passionnés, ils ont connu les joies du succès… puis l’amertume de l’échec. De quoi douter, puis renoncer. Aujourd’hui, ils tiennent un cinéma d’art et d’essai baptisé El Sol, dans une petite station balnéaire. À l’occasion de ses cinquante ans, le couple s’apprête à offrir une rétrospective aux cinéphiles du coin avec en point d’orgue le film Saudade. L’affaire s’annonce plutôt bien — même le maire a promis de faire le déplacement — jusqu’à l’arrivée d’un invité pour témoins inattendu.

Il s’appelle Cisco, a une tête de truand, et cette fois, ce n’est pas du cinéma. Avec Misha, son complice, il vient de braquer une banque et n’a rien trouvé de mieux que de terminer sa cavale dans le cinéma… et d’y planquer le magot. Forcément, l’endroit devient subitement très animé et fréquenté…

Si l’histoire commence comme une comédie douce-amère, elle vire rapidement au polar, avec une bande de bras cassés qui vont se révéler aussi maladroits qu’attachants et, pour l’un d’entre eux, cinéphile du genre émotif. Après Les Étoiles s’éteignent à l’aube, Vincent Turhan s’impose comme une nouvelle signature à suivre, offrant avec Saudade un récit savoureux qui rend hommage au cinéma, porté par un graphisme semi-réaliste, jeté, vivant et expressif.

Eric Guillaud

Saudade, de Vincent Turhan. Sarbacane. 25€

© Sarbacane / Turhan

03 Oct

Starman : entre flamboyance et métamorphoses, Reinhard Kleist raconte Bowie

Après Elvis Presley, Johnny Cash et Nick Cave, l’auteur allemand Reinhard Kleist replonge dans l’univers de la musique avec l’une de ses figures les plus iconiques : David Bowie et son double venu d’ailleurs, Ziggy Stardust…

C’est l’une des plus belles créations musicales du XXe siècle, et elle résonne dès les premières pages de ce livre consacré à la légende David Bowie. Space Odity, premier grand succès du musicien, introduit l’époque du Major Tom, bientôt supplanté par un autre alter ego, plus flamboyant encore : l’extraterrestre Ziggy Stardust. Nous sommes alors en 1972. Avec son groupe The Spiders from Mars, Bowie entame une tournée d’un an et demi qui l’amènera du Royaume-Uni aux États-Unis en passant par le Japon. Bowie devient une star interplanétaire. Près de 200 concerts, deux albums enregistrés durant la période, une ascension fulgurante et une fin brutale qui laisse ses musiciens et les fans sur le bord de la galaxie :

« C’est non seulement le dernier concert de la tournée, mais aussi notre dernier concert »

Ce soir-là, sur la scène de l‘Hammersmith Odeon à Londres, David Bowie tue Ziggy Stardust. Le choc !

« Brulées les paillettes et les promesses… C’était la fin d’une époque ».

Le fin d’une époque et le début d’une autre ! Berlin. Avec la volonté pour David Bowie de redescendre sur Terre, de se retrouver et de se réinventer. Avait-il pressenti avant tout le monde la fin du glam rock ? S’était-il lassé d’un personnage qui menaçait de l’engloutir ? Ou refusait-il tout simplement de se répéter ?  Les 344 pages de ce magnifique roman graphique n’apportent pas de réponse définitive. Reinhard Kleist choisit plutôt d’ouvrir des pistes, de laisser parler son cœur, en retraçant deux périodes charnières : Ziggy et Berlin, tout en ouvrant des fenêtres sur sa jeunesse et ses derniers jours. 

Abandonnant ici son noir et blanc habituel pour coller au personnage haut en couleurs, Reinhard Kleist conserve tout de même un trait vif, réaliste et expressif. Ses scènes de concert explosent de flamboyance bowiesque, à la croisée du documentaire et de la rêverie graphique.

Eric Guillaud

Starman, Quand Ziggy éclipsa Bowie, de Reinhard Kleist. Casterman. 28€

© Casterman / Kleist

24 Sep

Jakob de Mud et Zheping Xu : un premier volet d’une belle intensité dramatique

Pour leur première collaboration, le Français Mad et la Chinoise Zheping Xu nous embarquent dans une histoire entre drame intime et manipulation insidieuse…

« Nous n’oublierons jamais cette épreuve. Bridge Book ne sera plus jamais la même. » Dans son prêche du dimanche, le père Matthew dit vrai. Deux ans après le passage d’une tornade dévastatrice, les cicatrices marquent encore les rues de la petite ville. Mais elles ne s’arrêtent pas aux murs effondrés ou aux toits arrachés : les âmes aussi portent leurs blessures. Certaines plus profondes que d’autres.

Harper, elle, a perdu son grand frère et traîne depuis sa solitude comme un fardeau dont elle ne parvient pas à se défaire. Jusqu’au jour où une communauté hippie s’installe à proximité de Bridge Book. À sa tête : Jakob, un homme charismatique aux promesses envoûtantes. De quoi fasciner Harper…

Pensé en deux volets, Jakob interroge les rouages de l’emprise et de l’influence à travers les yeux d’une adolescente endeuillée, privée de réconfort auprès d’un père autoritaire et d’une mère éteinte par la dépression et l’alcool. Pour son premier album de bande dessinée, Zheping Xu met son trait clair et dynamique au service du récit, lui insufflant une intensité dramatique saisissante. Belle découverte !

Eric Guillaud

La Communauté, Jakob tome 1, de Mud et Zheping. Ankama. 19,95€

18 Sep

Les Singes : un thriller familial haletant de Yann Le Bec

Après avoir illustré L’Ami sur un scénario de Lola Halifa-Legrand, Yann Le Bec signe avec Les Singes son premier album en tant qu’auteur complet : un thriller familial sous tension…


Les singes ! Combien de fois Manon et son père les ont-ils imités à quatre pattes dans le salon, la bouche projetée en avant, à lancer des “hou hou” ? Des centaines, des milliers de fois ? Lorsqu’elle était petite, bien sûr. Et encore aujourd’hui, parfois pour apaiser une tension, souvent par nostalgie. Preuve si besoin d’une grande complicité entre les deux. Mais les temps ne sont plus vraiment à la rigolade. Le foyer est en train d’exploser entre une mère absente et un père largué. Largué et empêtré dans une relation adultère avec la sœur de sa femme. Qui est enceinte. De lui. Bref, pas de quoi faire les singes. Surtout que la soeur débarque à l’improviste à la maison, profitant de l’anniversaire de Manon…

Quoi de plus troublant qu’un meurtre dans le cadre, en principe rassurant, de la famille ? Quand l’extraordinaire percute de plein fouet l’ordinaire. C’est précisément ce que Yann Le Bec explore ici, avec une délectation assumée, dans la lignée des films de Chabrol ou d’Hitchcock qui l’ont inspiré, reconnait-il. Dans ce qui n’est que son deuxième album, l’auteur nous surprend par son talent. Tout d’abord d’un point de vue graphique, offrant un trait dynamique et fluide réalisé à la plume et relevé d’une bichromie rouge et noir Ensuite, par le scénario, qui explore les relations père-fille sous une épaisse couche de fait divers, de doute, de défiance qui captive le lecteur jusqu’à la dernière page, la dernière vignette. Coup de cœur !

Eric Guillaud

Les Singes, de Yann Le Bec. Dupuis. 24€

© Dupuis / Le Bec

 

14 Sep

Contrapaso, un polar de Teresa Valero dans l’Espagne de Franco

Initialement publié en 2021, le premier volet de Contrapaso bénéficie aujourd’hui d’une réédition dans la collection Aire Noire, alors que sort le deuxième tome. Deux excellentes raisons de (re)plonger dans le récit de Teresa Valero, au cœur de l’Espagne franquiste…

Dix-sept ans que ça dure ! Dix-sept ans qu’Emilio Sanz, journaliste aux faits divers du quotidien La Capitale à Madrid, traque un meurtrier insaisissable. Dix-sept ans de théories, d’hypothèses et de fausses pistes. Les victimes n’ont rien en commun, si ce n’est d’être des femmes. Jamais de mobile sexuel, mais toujours une mise en scène macabre, presque théâtrale. Et à chaque fois, une corde. Non pas utilisée pour tuer, mais disposée de façon à dessiner une lettre. C’est du moins la conviction de Léon Lenoir, le jeune binôme de Sanz…

Au-delà d’être un excellent polar, Contrapaso a le mérite de nous immerger, avec une force remarquable et une précision documentaire, dans l’Espagne des années 1950, celle de la dictature franquiste et des phalangistes, un pays refermé sur lui-même, conservateur à l’excès, gangrené par la misère, mais qui, comme l’illustre parfaitement ce récit, cherche à se donner une légitimité sur la scène internationale, en rejoignant l’ONU et en ouvrant ses frontières aux équipes de cinéma comme aux troupes américaines.

Si Teresa Valero fait ses premiers pas dans la bande dessinée en tant que scénariste, notamment avec la série Sorcelleries dessinée par Juanjo Guarnido, elle se tourne très rapidement vers le dessin. Avec Contrapaso, elle signe pour la première fois une œuvre en autrice complète : un scénario dense, solidement construit, servi par un trait réaliste et expressif, légèrement stylisé, où chaque détail compte, des atmosphères pesantes et sombres à l’image de cette période, un découpage et des cadrages cinématographiques qui renforcent la tension dramatique.

Eric Guillaud

Contrapaso, tomes 1 et 2, de Teresa Valero. Dupuis. 25€

© Dupuis / Valero

RSS